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20/06/20 Conseils pour soutenir une personne dissociée 6/10

Dernière mise à jour : 5 août 2020



Que vous soyez proches d'une personne dissociée ayant vécu des traumatismes ou un professionnel qui va entendre sa parole voici quelques points importants qui pourront vous aider et nous aider :

Ne soyez pas trop expansif :

Lorsque nous vous parlons pour la première fois de nos traumatismes, ne soyez pas trop expansifs. Nous avons appris à séparer nos ressentis pour ne pas souffrir, ne pas ressentir. Si vous pleurez trop, si vous vous mettez en colère de façon exagérée, cela nous fera peur et nous fera taire.


D'une part parce que nous avons intégré le fait que les gens en général fuient la souffrance et le malheur. Régulièrement nous entendons "passe à autre chose, c'est du passé", la société nous demande d'être toujours de bonne humeur, joyeux… Les personnes dépressives sont rejetées et font peur, la dépression est un "sujet tabou"… Donc nous savons que votre tristesse ne nous aidera pas et que si vous en éprouvez trop vous finirez par nous fuir car cela vous deviendra insupportable à ressentir. Je l'ai vécu avec plusieurs amis qui ont exprimé beaucoup de tristesse face à mon récit puis ont disparu.


D'autre part, la colère est quelque chose qui nous effraie car c'est un sentiment qui peut amener à la perte de contrôle et nous avons peur que vous vous preniez pour un justicier ou que vous soyez tellement en colère que vous vouliez nous forcer à porter plainte ou à dire ce que nous avons vécu à d'autres sans comprendre la complexité de ce que nous vivons intérieurement avec nos parties et la réalité de l'amnésie traumatique que nous subissons. Et vous risquez de devenir un danger pour nous. Certains de mes amis ont réagi ainsi, explosant de colère et ne comprenant pas mes réactions de sauvegardes et me reprochant ensuite mon vécu en me disant que "j'aimais me complaire dans le malheur" et qu'en fait "j'en étais responsable" puis partaient en claquant la porte. Ce fût extrêmement violant pour moi!


Au début, lorsque nous racontons, notre voix est monocorde, nous ne montrons que peu ou pas d'émotions. C'est normal, c'est une réaction de protection physiologique normale. C'est comme si nous étions le narrateur robotisé d'une histoire d'horreur sans en avoir été le personnage principal. Nous ne nous reconnaissons pas vraiment dans ce que nous avons vécu, et la réalité nous semble très étrange, notre corps est comme gelé et nous ne ressentons rien. Ce sont des symptômes de la dissociation : la dépersonnalisation (des expériences d'irréalité ou de détachements de son esprit, de soi-même ou de son corps) et la déréalisation (des expériences ou détachement du monde extérieur). Reconnecter nos ressentis et nos émotions à nos souvenirs reviendraient à tout revivre comme si c'était à nouveau en train de se dérouler et cela reviendrait à mourir à nouveau pour nous. La définition même d'un traumatisme selon le Docteur Muriel Salmona est une menace de l'intégrité physique (une confrontation à la mort) et une menace de l'intégrité psychique (car la situation est anormale, injuste, dégradante, humiliante et incompréhensible). Il y a un risque vital cardiovasculaire et neurologique pour nous ! Nous détacher ainsi de nos ressentis est donc une réaction normale et instinctive de survie à une situation anormale.


Ne critiquez pas nos éclats de rire ou nos plaisanteries lorsque nous vous parlons des choses horribles que nous avons vécu. C'est notre moyen de défense, de survie. Cette réaction est normale. Au début, c'était ainsi que je racontais mon histoire. Cela me permettait de "tester" mon entourage. Si je raconte en rigolant ou plaisantant les choses atroces que j'ai vécu, et que la personne en face rit et plaisante elle aussi, cela me permet de savoir qu'elle n'écoute pas vraiment mes mots, qu'elle n'observe pas mon langage corporel et donc que ce n'est pas une personne sur qui je peux compter, qu'elle ne sera pas en mesure de comprendre ma dissociation et ce que j'ai dû mettre en place pour survivre. Lorsque je racontais cela en riant, généralement mes mains se mettaient sur mon cou et le serraient comme si elles m'étranglaient. Ce n'était pas quelque chose que je contrôlais. Mais la personne en face aurait pu, aurait dû le voir... Aucun de mes amis ne l'a vu. Beaucoup ont ri et fait comme si rien n'avait été dit. Cela amenait beaucoup de désespoir en moi, l'impression d'être invisible, transparente...


Sans doute que les personnes exprimant fortement leurs émotions pensaient bien faire et être dans la bienveillance en le faisant. Peut-être pensaient-elles ainsi m'aider à reconnecter mes émotions à ce que j'avais vécu d'atroce. Mais c'était extrêmement douloureux pour moi et me faisait souffrir. Elles étaient comme un miroir qui me renvoyait à la face toutes les émotions beaucoup trop forte et douloureuse auxquelles je n'étais pas encore prête à faire face. C'était une torture pour moi ! C'était comme être jetée dans une casserole d'eau bouillante ou de lave. C'est ce que je ressens face à cela, mon corps entier, ma peau, mon cœur, tout mon être brûlait et je n'avais qu'une envie, m'en échapper.


Je crois que la question, c'est de vous accorder à la personne que vous écoutez : si votre propre intensité est trop différente (très supérieure ou très inférieure) à la notre, nous ne nous sentirons pas entendu, compris, et ça peut être violent pour nous.

En termes de registre émotionnel :

Si nous rions en racontant quelque chose d'horrible, il est important de ne pas rire aussi fort que nous, mais vous ne devez pas non plus montrer une émotion trop éloignée ce qui pourrait être ressenti comme brutal. Donc face aux éclats de rire, vous pouvez par exemple juste avoir un sourire bienveillant puis dire doucement quelque chose comme : "c'est difficile d'en parler pour vous ?" ou "on dirait que c'est difficile de ressentir vos émotions liées à ça ?".

Si la personne en face parle comme un robot sans émotions, vous pouvez simplement nous regarder avec bienveillance et tendresse et nous dire "cela a dû être très effrayant et très douloureux pour toi ?" "on dirait que c'est difficile pour toi d'y repenser et de ressentir à nouveau les émotions qui y sont liées?". Vous pouvez aussi dire tout haut ce que vous voyez : "En racontant ce que tu as vécu, je vois que te mains se posent sur ton cou et le serrent fort, as-tu peur de te mettre en danger en me racontant ce que tu as vécu? Cherches-tu à te faire taire? Tu es en sécurité, je ne ferai rien sans ta permission, je suis là et je t'écoute." Ou "je vois que ton corps s'agite beaucoup lorsque tu me parles, tu es en sécurité avec moi, je ne te ferai pas de mal, je suis là et je t'écoute."

Dans les deux cas, vous vous approchez de l'intensité et du registre de la personne qui vous parle, ce qui lui permettra petit à petit de trouver une intensité et un registre plus justes par rapport à ce qu'elle vécu.


Reconnecter nos émotions et sentiments à ce que nous avons vécu est la tâche la plus difficile et douloureuse de notre guérison. C'est ce qui nous permettra d'intégrer dans notre mémoire autobiographique notre vécu. Il faut que vous trouviez la juste démarche à avoir avec nous car d'un côté les voir s'apparente à plonger dans un feu brûlant qui nous terrorise, et de l'autre, voir les émotions en miroir nous permet de comprendre qu'il doit y avoir des émotions similaires à l'intérieur de nous et à accepter d'en prendre conscience petit à petit. En nommant les dissonances dans ce que nous disons ou montrons, vous nous aidez à être curieux et à chercher à comprendre et accepter ce que portent nos parties dissociées, à faire le lien entre notre récit et nos ressentis émotionnels ...


Laissez nous le temps de décider quand nous sommes prêt à y faire face et aidez nous à nous reconnecter à nos émotions petit à petit en nous laissant le temps qui nous est nécessaire pour le faire.

Pour cela, observez nous et formulez tout haut ce que vous constatez avec douceur et bienveillance :

  • Ce que vous voyez (nos gestes, notre langage corporel... une nervosité, des mouvements des mains, la posture du corps...),

  • Ce que vous entendez (les mots utilisés, je disais beaucoup que mon violeur "me prenait en confession dans sa chambre" si quelqu'un m'avait interrogée sur l'étrangeté de ce mot cela m'aurait aidée... ou je ponctuais mon discours de soupirs ou de hurlements qui m'échappaient...)

  • Les émotions que vous ressentez ou l’absence d'émotions que vous ressentez (notez intérieurement les décalages qu'il peut y avoir entre ce que nous disons et ce que nous montrons en terme d'émotions. Plus nous sommes froids et distants plus c'est le signe que ce que nous avons vécu était horrible et destructeur.)


Ne parlez pas de nos souffrances en terme exagérés.

Privilégiez plutôt au début les mots exactes pour qualifier ce que nous avons vécu.

Nous n'avons pas conscience que ce qu'on nous a fait est de la maltraitance, de la torture, des viols. Mettez les bons mots sur notre vécu. C'est de cela dont nous avons le plus besoin.


Comprendre et analyser nos traumatisme, remettre les choses à l'endroit, les nommer pour pouvoir les intégrer. Et laissez nous le temps de prendre conscience à notre rythme des émotions que nous avons vécu. Laissez nous les exprimer lorsque nous sommes prêt à les accueillir comme faisant partie de notre vécu.

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