Prendre soin de soi
Un vaste programme qui se révèle très compliqué à gérer et améliorer pour une personne avec un TDI !
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Temps libre et détente :
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Citations du livre : Gérer la dissociation d'origine traumatique (Boon, Steele & Van der Hart, 2014) :
"Apprendre à utiliser son temps libre pour se détendre, raviver son énergie, écouter parfois ses envies, s'amuser et entreprendre de nouveaux hobbys sont des chaînons importants sur la voie de la guérison."
"S'intéresser à différents sujets, apprendre, rire et s'amuser contribuent à un meilleur niveau d'énergie, à une meilleure conscience de l'ici et maintenant et à un plus grand sentiment de bien-être."
"Il existe deux facteurs qui perturbent une bonne utilisation du temps libre chez les personnes ayant un trouble dissociatif : la tendance à éviter la détente et l'apparition de conflits intérieurs sur l'occupation du temps libre."
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J'ai grandi dans une secte ou la détente était interdite. Mes parents et les adultes avec qui j'ai grandi étaient tout le temps au travail au sein de cette secte.
Les "tire-au-flan" étaient critiqués et dénigrés. Même des temps qui auraient pu être vus comme plus calmes comme la prière ou l'adoration du saint sacrement (le fait de prier devant une hostie représentant le corps du christ) avaient un but précis, nous devions prier pour quelque chose, notre esprit ne devait pas vagabonder et nous ne devions pas nous endormir sous peine d'être fortement réprimandés ! Chaque minute de la journée était dirigée, encadrée, une tâche succédant à une autre.
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C'est comme si la moindre de nos pensées et actes était surveillés. Nous avions des entretiens avec le gourou qui nous sermonnait pour le moindre de nos écarts et nous culpabilisait pour nos mauvais agissements, notre égoïsme et le sacrifice, le don de soi exemplaire des autres...
Chacun observant l'autre et le jugeant et rapportant les inconduites même les plus minimes.
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Se détendre, prendre du temps pour soi était inculqué comme étant l'oeuvre du malin, du diable et était à combattre impérativement ! C'était perçu comme un mauvais trait de caractère, un mauvais penchant. Les enfants grandissaient avec l'exemple à suivre des saints, c'était les histoires qu'on nous lisait quotidiennement. Chacun de nous voulait être François d'Assise, les bergers de Fatima, Sainte Claire... Les personnes mises en avant étaient celles vivant dans les conditions les plus difficiles, dans des bidonvilles, au milieu des pauvres... nous devions prier quotidiennement pour eux, tout le monde les admirait.
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Tout acte d'égoïsme était dénoncé et nous devions en demander pardon et en répondre devant Dieu et toute la communauté dans des séances publiques d'humiliation et de culpabilisation à la chapelle... Nos biens devaient être partagés avec tous (même nos cadeaux d'anniversaire ou les colis envoyés par nos grands-parents...). Posséder quelque chose était interdit sauf si le gourou donnait son accord. Pour avoir des habits, de la nourriture, il fallait demander l'autorisation... Sortir se promener, aller à la plage, aller au cinéma... tout dépendait du bon vouloir du gourou.
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M'acheter quelque chose est source de culpabilité… Posséder des choses également car comme les saints la pauvreté extrême était montrée comme un idéal de vie.
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A cause de tout cela, maintenant encore, j'éprouve beaucoup de conflits intérieurs lorsque certaines de mes parties veulent se détendre. Elles entrent en conflits avec certaines parties de moi qui ont assimilé les règles de la vie dans la secte. Mais, je pense que toute personne sait instinctivement que prendre soin de soi et obéir à ses propres envies apportent du plaisir et du bien-être intérieur et fait qu'on se sent bien. C'est un besoin fondamental.
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Mais comment faire pour concilier ce besoin fondamental et instinctif avec des interdits profondément ancrés ?
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J'ai donc des parties dont la "raison d'agir" et de faire que je me sente bien, me poussant à aller me promener, me reposer... et d'autres parties qui ont endossé le rôle de "m'interdire" de le faire pour se conformer aux dictas de la communauté et donc me conformer au groupe et éviter les punitions. Ces deux groupes de parties sont en perpétuels conflits.
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J'agis ainsi beaucoup dans mon travail par exemple, je suis capable de travailler de manière acharnée jusqu'à l'épuisement sans écouter les signes de fatigue de mon corps, travailler même en étant malade... J'entends beaucoup de voix, de pensées intérieures qui me reprochent tout repos et bien-être et je ressens beaucoup d'angoisse et de terreur d'une punition divine si je ne le fais pas. De la colère contre moi également, colère des parties qui savent que je suis libre de mes actes à présent et colère des parties qui ne l'ont pas réalisé et pensent que je me mets à nouveau en danger. J'entends des phrases entendues dans mon enfance et je reconnais les voix de ceux qui les ont dites, je ressens à nouveau toute la honte et la terreur d'avoir commis cet acte d'égoïsme... les punitions subies se déroulent dans ma tête comme si j'y étais à nouveau...
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A cela s'ajoute les déclencheurs de mes parties émotionnelles portant les traumatismes.
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Aller me promener en forêt par exemple est source de plaisir pour certaines parties et m'apporte de l'apaisement et du bien-être mais à chaque fois j'ai aussi un switch d'une partie qui a subi un viol d'un prêtre en forêt. Je replonge alors dans les souvenirs et sensations qui y sont liés. Comme si la réalité de maintenant n'existe plus, celle du souvenir devient plus présente, plus vrai. Je souffre à l'identique comme si c'était en train de se passer à nouveau. Et je fais donc tout pour éviter de le subir à nouveau, luttant, repoussant, m'interdisant de me rendre en forêt. Plus je pense m'y rendre, plus le moment approche, plus l'angoisse et la terreur intérieure montent et grandissent en moi.
Prendre soin de mon corps, me nourrir :
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Prendre soin de mon corps est également très difficile.
En étant violée, j'ai perdu ma conscience que mon corps m'appartient. C'est comme si mon corps et mon esprit s'étaient détachés pour devenir deux entités distinctes. Ne pas pouvoir se défendre, ne pas pouvoir empêcher qu'un violeur nous pénètre et salisse chaque parcelle de notre peau amène un sentiment d'impuissance surpuissant, de non contrôle sur notre être et le rend par là même étranger à nous. De plus les réactions biologiques que mon corps a pu avoir lors de ces actes (l'excitation sexuelle non concordante) est vécue comme une trahison, notre corps nous trahit à son tour, s'est rendu complice, a "accepté" ce que notre esprit refusait en hurlant... Il nous faut donc nous séparer de lui, nous en méfier, le haïr, le faire payer, le faire souffrir pour ce qu'il a fait... Il devient un étranger, quelqu'un avec qui on cohabite parce qu'on n'a pas le choix...
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Il nous est plus facile de haïr notre corps et le maltraiter pour se "venger" que de haïr et se venger de notre violeur. Nous sommes des enfants, nos possibilités d'actions sont très restreintes, notre contrôle sur notre vie aussi. Nous dépendons des adultes autour de nous pour tout, notre nourriture, notre sécurité... et nos violeurs s'arrangent souvent pour instaurer un lien d'attachement et de dépendance avec nous. Mon violeur principal, le gourou s'est arrangé pour devenir mon "père" dans le sens où il décidait de tout pour moi et mes parents. Je devais l'aimer et le respecter, il était celui qui décidait de tout ce que je recevais ou non. Ma vie, ma survie dépendait de lui. Je ne pouvais donc pas le haïr ouvertement.
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Toute ma rage et mon impuissance devait se tourner vers autre chose, quelque chose de caché, d'intérieur, qui ne se verrait pas : détester mon corps et le rendre responsable, le maltraiter.
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Je vis ma bouche comme une partie indépendante de moi, je la déteste, je la haïe. Je ne me brosse les dents que très rarement, c'est une épreuve pour moi, et je m'enfourne de manière compulsive de l'argile dedans quand le stress monte trop.
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Lors des viols j'ai ressenti parfois la sensation lorsque la douleur et la terreur étaient trop forte l'impression irréelle de sortir de mon corps et de m'observer d'au-dessus. J'étais enfin soulagée, je ne souffrais plus, je ne ressentais plus rien... C'était à une autre personne qu'on faisait cela, pas à moi. Cette scission d'avec mon corps a été perçue comme bénéfique. Je cherche parfois à ressentir à nouveau cela, cette impression de flotter, d'être dans du coton, en paix.
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Depuis quelques années, je fume des cigarettes. J'entends à longueur de journées des conflits concernant le fait de fumer, des parties qui jubilent et espèrent que ma "bouche en crève, que j'ai un cancer", et des parties qui ont peur et s'inquiètent pour ma santé.
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Fumer est un moyen pour certaines de mes parties de se rebeller face à mon père, toute mon enfance et adolescence il ne cessait de nous répéter "c'est pas bon la cigarette", une façon alors même qu'il est mort depuis quelques années de le narguer et lui désobéir, de faire ce qui le mettait le plus en colère. La cigarette est une addiction jugée pas trop dangereuse et acceptable par mes parties contrôles. Je suis heureusement freinée et stoppée dans toutes les autres addictions auxquelles peuvent être confrontée les victimes de viols (drogue, alcool...) car j'ai des parties qui ont intégré les règles de la secte et les interdits de boire de l'alcool ou se droguer. Lorsque je ressens le besoin d'utiliser ces moyens pour me déconnecter de la réalité, pour échapper à la souffrance et aux souvenirs traumatiques, des parties me bloquent et m'envoient des ressentis de terreur, le souvenir de chien qui me poursuivent, m'endorment... et je m'arrête.
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Manger et préparer à manger est source de beaucoup de conflits intérieurs. J'entends des parties me traitant de grosse, d'autres m'ordonnant de maigrir, d'autres me disant que je ne dois pas dépasser 45 kilos (je reconnais la voix de la femme du gourou). Lorsque je me sens mal, je m'auto-punis en ne mangeant pas. Je n'ai pas de repas équilibré, quand je suis seule, je mange un petit bout de pain et du fromage, je saute des repas...
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Heureusement pour moi, mon système de parties est très complexe. Dans la secte, il y a eu une période où bien manger, manger bio était prôné par la femme du gourou. J'ai donc des parties qui contrebalancent mes tendances anorexiques et me forcent de temps en temps à manger mieux. Je ne suis donc jamais tombée dans l'anorexie à proprement parler. Je me maintiens à un poids acceptable. Et le fait de devoir m'occuper de mes filles, m'oblige à contrer ces parties destructrices de moi-même car mes parties "maman" ont pour rôle d'être une "mère parfaite" et donc de faire des repas équilibrés et à l'heure pour mes filles quand elles sont avec moi.
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Il m'arrive aussi de vouloir manger de manière compulsive du fromage ou de la viande ou des glaces... des choses que nous mangions très rarement dans la communauté et dont nous avons été privés bien souvent. J'en ressens alors beaucoup de honte et de culpabilité.
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En gros, c'est le bordel tout le temps dans ma tête !
Des tas de points de vues différents, des tas de luttes...
Petit à petit, je prends conscience de toutes ces voix, de pourquoi j'agis de cette façon et petit à petit j'essaye de modifier mes actions, d'améliorer ma cohésion, mes discussions intérieures...
Mais c'est très long et éprouvant !
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