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LA FIN DE "L’AMNÉSIE"

Quelles sont mes étapes de levée traumatique ?

Aout 20xx. Je parle à mon médecin traitant. Elle m’envoie voir une psychologue qui entend et croit ce que je lui dis sur mes violences subies mais qui me lit mon avenir en fonction de mon signe astrologique.

J'ai la possibilité de trouver du travail j'ai un diplôme et j'ai trouvé un autre groupe, une autre « secte » à laquelle appartenir : j'ai étudié et suis diplômée d'une "méthode" différente, utilisée dans certaines écoles et très en vogue actuellement.

 

Je peux donc fuir et enfin sortir de la secte catholique dans laquelle j'ai grandi. Je commence à entendre et reconnaître en moi que je suis victime de violence conjugale. Mes enfants ont 3 et 6 ans. Je sais que la prochaine étape de mon ex-mari et sa famille est de me tuer psychiquement. Je suis à bout psychologiquement et physiquement.

Une évidence crie en moi. Si je reste je meurs. Je dois partir. Je dois fuir. Ma vie et celle de mes filles en dépend. Et je ne pars pas dans le grand vide, certains de mes repères (vivre dans un groupe fermé et qui se revendique comme ayant LA vérité et se soutenant mutuellement) pourront perdurer. Je reste dans une certaine forme de "terrain connu".

Une autre évidence : après l'avoir quitté je suis assaillie par la mémoire traumatique pour ne pas mourir je dois trouver de l'aide psychique, un soutien. Mais je dois trouver quelqu'un de reconnu de "sérieux" donc pas une psychologue comme celle que j'avais vu en tout premier. Pas de diseuse de bonne aventure.

Octobre 20xx Première rencontre avec un psychiatre. Horreur et violence institutionnelle. Il ne parle pas. De formation freudienne. Première violence. Assaillie par mes remontées traumatiques, seule, victime de violence au travail, victime de harcèlement par mon ex mari... complètement isolée et seule. Je bascule et fais une tentative de suicide.

A nouveau je dois partir, fuir. Loin !

Janvier 20xx Fuite dans un pays limitrophe de la France. Le harcèlement de mon ex continu. Je cherche un autre psy mais ma situation est si précaire que son rôle se résume à de l'assistanat social et financièrement je ne peux plus la voir. Pour endiguer les remontées de la mémoire traumatique je me mets en couple avec des hommes qui font perdurer une certaine forme de violence conjugale et sexuelle. Cela me maintient à peu près. Ma mémoire traumatique est contrôlée d'une certaine façon.

Juillet 20xx Mon frère se suicide. Une urgence je dois trouver du soutient ou je vais mourir moi aussi ! Un verrou de la mémoire traumatique casse.

Je suis très seule. Il me faut trouver quelqu'un, un soutien. Rencontre amicale avec une femme malsaine qui me propose son aide. Je tombe dans le piège. Je reproduis un schéma connu : emprise d'une personne sur moi. Le harcèlement de mon ex continu.

Septembre 20xx Je cherche à nouveau de l'aide psychologique. 2ème violence institutionnelle. Un psychiatre freudien à nouveau.

Je me mets en danger avec deux rencontres avec des mecs sur internet.

Mon ex mari est là il obtient la garde alternée. Je dois encore fuir pour que mes filles et moi survivions. Mes filles ont 4 et 7 ans.

Aout 20xx Je pars vivre chez un de ces mecs avec mes enfants.

Il appartient à un groupe lui aussi. Un groupe soudé dans sa branche professionnelle. Pas une secte. Je commence à prendre de la distance avec les fonctionnements sectaires connus mais l'appartenance à un groupe reste importante. Je suis rassurée. Je pars en terrain connu. Je ne suis pas seule.

Cet homme est "violent" sans trop l'être. Ma mémoire traumatique peut donc être contenue.

Septembre Je continue à chercher de l'aide psychologique. Un nouveau psychiatre freudien. 3ème violence institutionnelle.

En parallèle je cherche un autre professionnel. Je trouve ma psy. Le hic. Elle fait de l'EMDR et est psychologue. Je me renseigne sur internet : un soin qui fait débat pour la Mivilude institution qui m'a aidé à faire reconnaitre les dérives sectaires de la communauté et en qui j'ai confiance. L'un des premiers organismes à avoir fait reconnaître pleinement une partie de ce que j'ai vécu.

De plus mon ex mari sur les conseils d'une membre d'une secte qu'il côtoie veut que mes enfants aillent voir un psy qui pratique aussi l'EMDR. Je suis méfiante.

Un autre hic : la couleur des yeux de ma psy sont un déclencheur pour certaines parties qui voient en cela un rappel de la femme du gourou de la secte qui a été actrice dans mes traumatismes et voient en elle un signe de menace et de danger.

 Je teste pendant plusieurs années par petites touches. Puis je avoir confiance ?

En parallèle je continue à me faire maltraiter par le psychiatre freudien.

20xx Mon père meurt d'un cancer. Deuxième verrou et pas des moindres de ma mémoire traumatique saute. La loi du silence n'est plus. Mon père est mort.

Ma mémoire traumatique explose. En parallèle je cherche des réponses et de l'aide pénale. Je divorce (8 ans de batailles acharnées), l'église reconnaît la nullité de mon mariage, la communauté est reconnue à dérive sectaire et perd sa reconnaissance canonique. Ma lutte n'est pas que personnelle elle est aussi sociétale.

20xx Je finis par arrêter le suivi du psychiatre et commence à faire confiance à ma psychologue mais un événement va me faire reculer. Elle tente de m'aider à quitter l'homme avec qui je suis qui est devenu plus violent (Nous rejouons mutuellement des scènes de notre passé sans en prendre conscience, nous nous "réactivons nos traumatismes mutuels") De manière bien intentionnelle mais trop violente et trop rapide pour moi et mes souvenirs traumatiques. Je suis trop isolée, financièrement je ne peux pas m’en sortir. Ma psy est présente mais n’est pas une assistante sociale ni une amie ni une famille ni un groupe. Le saut est trop abrupt. La mémoire traumatique trop explosive. Je risque ma vie, seule, j'ai l'impression que je vais exploser, mourir tellement la douleur est atroce. Et je laisse se reproduire des schémas de violence au travail sans pouvoir m'en détacher. Je suis la proie idéale, vulnérable.

Je perds un peu de confiance en elle et reprends ma recherche d'un "professionnel " psychiatre. On en trouve une mais celle-ci est en pleine reconversion, elle commence juste à avoir des notions de traumas et n'est pas suffisamment formée pour prendre en charge un trauma complexe comme le mien. 4ème violence institutionnelle.

S'en suit une grande bataille intérieure de 2 ans pour accepter ma mémoire traumatique et apprendre à faire confiance à ma psy et se comprendre et s'expliquer, décortiquer mes besoins, mon mode de fonctionnement et s'adapter au rythme de ma levée d'amnésie.

Le chemin de reconstruction d'une personne survivante de traumatismes est long et tortueux. Il passe par 3 pas en avant et 6 pas en arrière. Il est très fragile. Certains petits créneaux ne doivent pas être manqués.

Nous, les survivants, passons notre vie à chercher de l'aide, quelqu'un qui nous aidera à renouer le dialogue intérieur et nous réunifier, à nous comprendre.

Il faut trouver le bon équilibre entre avancée et libération de la mémoire traumatique et besoins de souffler et pouvoir ne rien ressentir et subir de cette mémoire, être en "terrain connu", reproduire ce qui nous a toujours soulagé.  Trouver de nouveaux modes de fonctionnements et automatismes et utiliser le fonctionnement mis au point depuis toujours.

 

Cet équilibre évolue constamment et est tributaire de tous les messages que renvoient le quotidien de la ou le survivant. Des amis qui s'éloignent car entendre ma parole leur est trop douloureux. Un juge qui ne protège pas juridiquement. Une assistante sociale qui ne veut rien entendre. Un dentiste ou une gynécologue qui participent aux violences institutionnelles par leur méconnaissance des mécanismes du trauma... et tous les problèmes financiers et de précarité engendrés par cette lâcheté et méconnaissance du trauma par les institutions qui vont participer à la perpétuation du sentiment de non sécurité, de la solitude et de l'abandon de la survivante.

Nous parlons, nous disons... constamment. Mais dans 99% des cas notre parole est refusée.

Mais tout peut aussi changer par un simple regard, une écoute bienveillante.

C'est cet espoir cette quête incessante qui nous maintien en vie. L'espoir un jour d'être entendu.

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