Qu'est-ce que la dissociation ?
Explication N°5
Je ne suis pas médecin ni chercheuse en neuroscience. Je vais donc vous parler de ce que je vis et ressens dans mon corps en tant que personne ayant un TDI.
J'ai beaucoup, beaucoup de parties.
Une partie est en fait une part de ma personnalité qui a sa propre façon de penser, son propre avis sur ce que je dois faire, comment agir, qui être… car elle a ses propres représentations d'elle-même, de moi, des autres et du monde.
Une personne sans TDI si elle doit prendre une décision va réfléchir dans sa tête, elle va peser le pour et le contre, par exemple si une amie vous propose d'aller au cinéma ce soir, vous allez réfléchir et des pensées vont vous traverser. Vous allez vous dire "chouette on va passer un bon moment" puis peut-être que vous allez penser "mais je suis fatiguée, peut-être que ce serait mieux un autre soir". Et en fonction de vos ressentis, vous allez décider si le plaisir de passer une bonne soirée est plus important à respecter que votre envie de vous reposer.
Pour moi c'est la même chose, j'entends en permanence des discussions, des pensées dans ma tête, des voix... sauf qu’elles parviennent difficilement à s’entendre, donc la prise de décision est plus compliquée. J'ai toujours considéré ces voix, ces injonctions, ces besoins exprimés comme faisant parties de moi, m'appartenant. Jamais je n'ai eu l'impression que quelqu'un de l'extérieur de mon corps me parlait. J'ai toujours su intuitivement que ce que je vivais m'appartenait, que c'était mon propre dialogue intérieur.
A la différence d'une personne normale, une personne TDI va avoir des pensées bien plus complexes qu'une personne normale.
Comme je vous l'ai expliqué, lors des viols et des traumatismes que nous avons subis, pour survivre, nous avons dû cloisonner notre personnalité, notre identité, notre pensée, notre réflexion…
J'ai grandi dans une communauté catholique, j'ai été élevée avec la foi et les valeurs de cette religion. Je devais donc adhérer aux préceptes de ne pas avoir de sexe en dehors du mariage, de rester vierge, de croire en Dieu, de respecter et aimer mon prochain, de croire que les prêtres sont les représentants de Dieu sur terre, d'obéir à ses "bergers"... et en même temps, je vivais une autre réalité, , le gourou de cette secte me violait, me vendait à d'autres hommes, des prêtres me violaient, j'étais mise dans des cages menacée par des dobermans, j'étais attachée et torturée, ces hommes me battaient si je me rebellais et m'étranglaient...
Sans cloisonnement de mon esprit je serais devenue folle ! Cette secte était assez grande, nous avions des maisons sur plusieurs continents, lors des rassemblements tous les étés, des centaines de personnes se déplaçaient, tout le monde admirait et adulait le gourou. Je n'avais pas la possibilité d'être crue et entendue, protégée. J'ai donc partagé ma personnalité en plusieurs fragments pour survivre.
Pour être diagnostiquée avec un TDI, selon le DSM-5 et la CIM-11 (les deux manuels reconnus mondialement dans lesquels sont référencés les maladies mentales dans le domaine de la psychiatrie), il faut avoir au moins 2 parties distinctes, c'est à dire 2 "manières d'agir et de réfléchir bien distinctes" pour faire très simple. Les psys appellent ces parties des Parties Apparemment Normales aussi appelées PAN et Parties Emotionnelles aussi appelées PE.
La ou les PAN sont des parties qui vont être présentes et nous permettre d'agir dans la vie de tous les jours lorsque nous ne subissons rien. Ces PAN ont pour fonction de nous permettre de faire comme si tout allait bien, comme si tout était normal et que rien ne s'était passé, elles sont amnésiques et complètement inconscientes des traumatismes que nous subissons. Selon les personnes et les PAN, l’amnésie peut être partielle ou complète, ou même transitoire et récurrente (avec des périodes où des souvenirs sont partiellement retrouvés, d’autres où ils sont de nouveaux oubliés).
Les PE sont les parties qui agissent lorsque nous subissons les traumatismes, elles subissent les violences et sont là pour permettre notre survie.
Tant qu'il y a des violences, que nous sommes en contact régulier avec nos agresseurs, les PAN et PE ne coexistent pas, nous SOMMES les unes ou les autres sans nous rendre compte de quoi que ce soit, tout est fait dans notre cerveau pour que nous ne prenions pas conscience de ce que vit chacune de ces parties.
Nous n'avons pas conscience que quelques minutes avant nous étions violée. Quand notre violeur nous invite à le suivre promettant une "jolie surprise", nous sommes heureuse, impatiente, reconnaissante… Et ce n'est que lorsque un signe sur son visage, ce regard de bête, d'animal apparaît que nous "switchons", c'est à dire que une de nos PE vient car elle a reconnu l'autre visage de cette personne, le visage de l'animal mauvais qui va nous faire du mal. Puis lorsque tout est fini, lorsque notre violeur redevient la personne gentille qu'à nouveau nous "switchons" en une PAN ignorante de son côté malsain et de sa méchanceté et n'étant pas consciente de ce qu'il vient de se passer.
Ces "switchs"" sont un moyen de survie car après les viols si je ne devenais pas ignorante de ce qu'on venait de faire, la violence que je subissais aurait pu durer plus longtemps ou être encore plus accrue. Par exemple, j'ai une de mes parties qui a essayé de se défendre lorsque j'étais adolescente, elle a traité mon violeur de "couille molle", celui-ci a été hyper violant, j'étais attachée, il m'a tabassée dans le dos jusqu'à ce que je m'évanouisse, m'a violée. Je me suis réveillée dans ses bras, attachée, il m'a déposée dans une douche et comme j'étais complétement sonnée, il est "redevenu gentils", a fait couler de l'eau sur mon corps et m'a caressée en m'appelant sa "petite chérie"... Si à nouveau je m'étais rebellée, il m'aurait tuée…
J'ai subi beaucoup de traumatismes, j'ai plusieurs PAN et plusieurs PE.
J'ai des PAN qui servent pour travailler, des PAN qui sont spécialisées dans mon rôle de maman car j'ai 2 enfants, j'ai des PAN intellectuelles qui sont là lorsque j'étudie ou j'apprends, des PAN qui sont là pour le lien social avec mes amis et connaissances, des PAN pour quand je travaille...
J'ai des PE, certaines sont toutes petites, elles ont 2, 3, 4, 5 ans. L'une de mes PE, la première fois qu'elle est venue pour raconter ce qu'elle avait vécu l'a montré avec des peluches. Certaines de mes PE sont adolescentes.
Mes PE se vivent comme ayant toujours l'âge qu'elles avaient lors du premier traumatisme lors duquel elles se sont créées. Quand une partie très petite, de 2 ou 3 ans vient, je suis complètement désorientée, j'ai l'impression d'être géante, j'ai le tourbillon et je regarde la longueur de mes bras et mes jambes qui me semblent disproportionnées, tout autour de moi me semble étrange, la taille des meubles, ma hauteur... Lorsque je me regarde dans un miroir, je ne me reconnais pas, celle que je vois m'est complètement étrangère !
Depuis que j'ai été diagnostiquée comme ayant un TDI, mes "switchs" entre parties, qu'elles soient PAN ou PE se passent de façon beaucoup plus harmonieuses. Je suis beaucoup plus consciente de ces "switchs" et j'ai beaucoup moins d'amnésies, d'un "switch" à l'autre je garde la mémoire entre parties de ce qui s'est passé et de ce que j'ai dit et fait lors de ce "switch".
J'arrive aussi beaucoup plus à repérer et comprendre ce qui a déclenché la venue de ce "switch". Il y a ce qu'on appelle des "déclencheurs" ou "triggers".
Toutes mes parties sont présentes en permanence, elles écoutent, observent et en fonction de mon environnement ce sera l'une ou l'autre de mes PAN ou PE qui agira au premier plan.
Mes PAN et PE ont une expérience, une somme de vécu et de connaissances qui vont être le fruit de mes actions et réactions dans la vie de tous les jours. Tout comme une personne normale sans TDI. Une personne normale si elle n'a jamais fait de cheval par exemple sera un peu anxieuse la première fois qu'elle en fera, mais si elle en a déjà fait et a fait une grosse chute, elle réagira d'une autre façon.
Nous sommes la somme de nos vécus et apprentissages. Pour une personne TDI c'est pareil sauf que nos actions et réactions sont beaucoup plus complexes, beaucoup plus élaborées et beaucoup plus contraires et contradictoires. C'est comme si dans un seul corps se trouvaient rassemblées plusieurs personnes complètement différentes, ayant des vécus et des expériences, des connaissances complètement différentes.
Certaines parties ne sont présentes que lorsqu'elles ont à faire à des personnes sadiques et mauvaises, leur vision du monde et de la vie en est forcément impactée et restreinte. D'autres parties ne voient que les "bons" moments, que le côté "gentils" des gens en occultant entièrement la complexité humaine, leur vision est elle aussi impactée et elles risquent de ne pas détecter les dangers puisqu'elles sont ignorantes du mauvais côté de certaines personnes. Ces deux groupes de parties sont en lutte constante à l'intérieur de moi pour faire valoir leur point de vue, leur expérience de la vie et de l'être humain. Je suis capable à certains moments d'avoir une confiance aveugle en quelqu'un, me mettant en danger, ignorant complètement les signes indiquants que je dois me protéger. Je suis alors en proie à un bras de fer intérieur sur ce que je dois faire. Parfois, je me suis mise en sécurité trop tard...
Avant de comprendre que j'avais un TDI, avant de réussir à dialoguer et prendre conscience de mes différentes parties, ma vision du monde et mes actions étaient très "tout noir ou tout blanc". Je classais les gens dans des catégories : bon et mauvais. Sauf que l'être humain est bien plus complexe ! Tout le monde fait des bonnes actions et a des "travers", des actions qui peuvent faire du mal à autrui. Pour moi, c'était incompréhensible ! J'en souffrais beaucoup et j'étais beaucoup perdue pour décider en qui je pouvais avoir confiance. A présent, j'arrive mieux à me protéger et moins "switcher" face à la complexité des êtres humains. J'arrive à mieux réagir et à avoir une réaction plus adaptée dans ma vie de tous les jours. J'arrive mieux à intégrer le fait que tout être humain ne fait pas que le bien ou que le mal et à adapter ma relation d'amitié ou d'intimité, mes attentes à cette personne.
En écrivant ce texte, je sens beaucoup de conflits et de colères à l'intérieur de moi. Les PAN et les PE dont je vous parle sont en fait la "base" à connaitre pour comprendre une personne avec une dissociation. Disons que toute personne avec une dissociation, ayant subi un traumatisme aura une PAN et une PE. Une personne ayant vécu un attentat terroriste comme il y en a eu à Paris aura une PAN normale qui vivra sa vie de tous les jours et si elle n'est pas aidée à surmonter le traumatisme aura une PE qui portera le traumatisme vécu. Cette PE pourra alors resurgir si la personne entend des pétards dans la rue, cette personne refera alors ses actions de survies : courir, se coucher à terre, hurler, être tétanisée… comme si on lui tirait à nouveau dessus. Les pétards représentent le "déclencheur ou trigger", sa PE resurgira sans aucun contrôle de la PAN et la personne sera incapable d'analyser la situation, de comprendre qu'elle n'est pas en danger. Elle revivra le traumatisme à l'identique et les souvenirs du traumatisme resurgiront comme si elle les revivait à l'identique.
Pour moi c'est pareil. Sauf que j'ai beaucoup plus de "déclencheurs" puisque mon enfance entière a subi des traumatismes. Ce qui me gêne dans cette définition des PAN et PE est que c'est très réducteur, très simpliste ! J'ai des parties qui ne rentrent pas dans ces deux catégories. J'ai des parties "contrôles et observatrices" qui ont pour fonction de bloquer ou sélectionner une partie à mettre devant pour que j'agisse. Ces parties sont présentes dans mon présent, mon quotidien et savent ce qui s'y passe et en même temps elles connaissent toutes mes parties et ne sont ni phobiques ni amnésiques de mes traumatismes. De plus, j'ai aussi des PE qui ne sont pas restées coincées dans l'âge du traumatisme qu'elles ont vécu et qui ont su grandir et s'adapter, développer des compétences dont je me sers dans ma vie d'adulte. Ceux ne sont donc pas des PE comme les définissent les psys au sens strict, qui ont une fonction et une palette d'actions et de compétences très restreintes.
La recherche concernant le TDI et le fonctionnement du cerveau est tellement aux balbutiements ! Pour comprendre ce que je vivais, j'ai cherché des livres, des études qui en parlaient. La plupart sont écrit en anglais, ce qui me demande un gros effort de concentration et parfois je ne comprends pas tout ce qui est écrit. Des gens mettent en doute l'existence du TDI, il faudrait que toutes ces études et ces livres soient traduits pour que l'on puisse les diffuser en France !
Des études en neurosciences existent. Mais rien n'est fait en France, j'aurais aimé y participer !
Lorsque mes parties switchent dans mon corps, je sens des choses. Je sens dans mes yeux au niveau de mes globes oculaires un mouvement, je sens qu'elles viennent prendre leur place, comme si d'autres yeux venaient et prenaient la place.
Dans mes journées, j'ai des manifestations physiques de mes "switchs", je sens mon cœur qui s'emballe quand je suis réactivée par un déclencheur, je sens mon corps qui tremble, j'ai des sueurs froides, je sens la panique qui m'envahie. Je sens mon corps qui se "gèle" et mon cœur qui d'un coup se calme, mon cerveau qui s'embrouille et je ne suis plus capable de bouger, de parler, d'agir…
Lorsque mes parties partagent des souvenirs sensoriels, je sens des douleurs dans mon dos, mes bras, mes poignets… tous les endroits ou on m'a frappée, agrippée, forcée…
Toutes ces manifestations devraient pouvoir être étudiées, analysées scientifiquement. Pourquoi les chercheurs français ne les étudient ils pas au lieu de dire "c'est inventé". Ceux qui disent que nous simulons, pourquoi ne viennent ils pas nous étudier ? Ils verraient que ce que je ressens est mon quotidien, je "switche" en permanence, toute la journée et même quand je suis seule chez moi sans témoins. Peut on simuler à ce point ? Les "affabulatrices" sont elles capables de faire cela tout le temps, toute leur vie, avec autant de symptômes ?
J'ai une partie qui m'endort lorsque je suis trop en conflit intérieurement. Lorsque je vais passer du temps chez ma mère, je dors, pratiquement nuit et jour. Je suis incapable de me lever, je suis épuisée en permanence et tout ce que je peux faire c'est dormir. Parce que intérieurement j'ai beaucoup de conflits. Certaines de mes parties aiment ma mère, d'autres sont très en colère qu'elle ne m'ait pas protégée et aidée et lui en veulent, j'ai besoin d'elle pour prendre soin de mes filles, l'été elle me permet de souffler et s'occupe très bien de ses petites filles qui l'adorent… Comment concilier tous ces points de vues ? Je n'ai pas encore trouvé, alors j'y vais avec mes filles, mes filles passent un bon moment, et moi je dors pour ne pas créer de conflits et me fâcher avec ma mère...
Chacune de mes parties a une bonne raison d'exister, une bonne raison d'agir et me faire agir comme elle le fait. Il faut toujours que vous gardiez bien cela à l'esprit !
Nous forcer à agir à l'encontre du besoin de nos parties ne fera que nous mettre en panique et accentuera nos symptômes de stress. Cela ne nous aidera pas si vous nous forcez à agir (quitter un homme violent par exemple). Nous avons mis en place des stratégies de survie, il n'y a que en étant à l'écoute des raisons et raisonnements de nos parties, en discutant avec chacune d'elles que vous pourrez nous aider. Dans la patience, la compréhension, la douceur, la bienveillance… N'oubliez pas que nous avons derrière nous une vie entière de trahisons, d'abandon et de négligence. Nous avons appris à ne faire confiance à personne parce que on nous a trahit bien des fois. Soyez présent, écoutez-nous et discutez avec nous... petit à petit nous réussirons à modifier nos actions. En nous violant, on nous a retiré toute existence, tout contrôle sur notre être, ne nous refaites pas la même chose ! Laissez nous apprendre, à notre rythme à reconquérir notre existence... Et ne mettez pas en doute notre souffrance, nos batailles intérieures, nos stratégies de survies... Nous avons du survivre au pire sans l'aide et le secours de personne. Si vous êtes là à présent, c'est une chance pour nous, soyez un ami bienveillant et sur qui on peut compter, qui ne juge pas et ne met pas d'ultimatums ou de conditions.
La Docteur Muriel Salmona explique très bien ce qui se passe lorsque nous sommes en "sécurité" (voir son site : memoiretraumatique.org). En quittant un conjoint violent, en étant en "sécurité", notre mémoire traumatique explose, nous sommes assailli par les sensations et souvenirs des traumatismes vécus. C'est une véritable torture ! Par mécanisme de sauvegarde neurobiologique, nous cherchons à fuir ces ressentis et souvenirs. C'est pour cette raison que beaucoup de femmes retournent vers leur conjoint violent ou tombent dans la drogue ou l'alcool... C'est un moyen à court terme d'échapper aux remontées traumatiques, de s'anesthésier...
J'ai des parties très croyantes en Dieu, et des parties qui ne veulent rien avoir à faire d'une quelconque religion, et sont la dans la haine et le rejet viscéral. J'ai des luttes internes énormes concernant ce point de vue. Certaines de mes parties ont aimé et admiré, respecté les deux prêtres qui m'ont violée, et d'autres qui ont vécu leurs violences et leurs viols. Quand je pense à eux, je ressens ces deux points de vues complétement contradictoires et c'est très difficile pour moi de trancher. Sont ils bons ou mauvais ? Ai-je le droit de ressentir de l'amour, de la reconnaissance pour eux ou dois-je les haïr ? Comment arriver à intégrer qu'une personne puisse être l'un et l'autre?
Même en étant à présent adulte, j'ai encore du mal à le conceptualiser...