POURQUOI TÉMOIGNER EST-IL DIFFICILE ?
Pouvoir écrire ces lignes sur ce site a été un long cheminement de 3 ans en arrière, très douloureux et éprouvant et ce cheminement n'est pas encore terminé car pour l'instant je ne suis pas encore capable de témoigner à visage découvert et de porter plainte.
Comme je vous l'ai expliqué, j'ai de très nombreuses parties. Chacune de ces parties a sa propre représentation de ce que je dois faire, être, dire... Le seul et unique but de la création de ces parties est de m'aider à survivre, me sauver.
Il y a trois choses qui rendent le témoignage difficile :
- L'amnésie traumatique
- Les luttes sur les objectifs de survies de tout mon système de parties
- La méconnaissance de la société et des professionnels sur les conséquences des traumatismes et leur réalité
Tout d'abord l'amnésie traumatique, mes parties se sont cloisonnées dans mon esprit pour me permettre de survivre, chacune étant ignorante de l'existence de l'autre et de ses agissements et de ce qu'elle vivait.
Mes parties "PAN" étaient ignorantes de ce que vivaient mes parties subissant les traumatismes, leur but étant de faire comme si tout allait bien, comme si tout était normal et que rien ne s'était passé car autour de moi personne ne me protégeait, tout le monde obéissait à mes violeurs et ceux-ci avaient un pouvoir sur ces personnes.
Ma parole n'aurait et n'a pas été prise au sérieux lorsque j'ai parlé et j'en ai subi des conséquences graves puisque après avoir parlé, le nombre de mes violeurs a augmenté. Et ne pas savoir me permettait de pouvoir agir en présence de mes violeurs sans avoir peur, sans être en colère, je pouvais lorsqu'en public ils disaient que j'étais "leur fille adoptive, qu'ils m'aimaient"... être reconnaissante, affectueuse... Si je ne l'avais pas fait je serais morte !
Mon amnésie a été partielle ou complète, ou même transitoire et récurrente avec des périodes ou des souvenirs ont été partiellement retrouvés et d'autres où ils ont été de nouveau oubliés selon ce que je vivais au quotidien.
Encore aujourd'hui, certains jours je sais et me souviens de manière précise ce que j'ai vécu et par moment ces souvenirs sont inaccessibles comme pris dans un nuage de brouillard et de flou. A certains moment je peux décrire en détail les lieux et le déroulement de mes traumatismes, je me souviens des paroles, du visage, de la position de mon corps... et tout devient flou, je sais que quelque chose m'est arrivé mais tout est brouillé comme un rêve lointain que j'aurais fait.
Cette amnésie fait partie de ma survie car faire face de manière totale et constante est très douloureux.
N'oubliez pas que ma prise de conscience n'est pas que intellectuelle, elle est aussi sensorielle (je sens physiquement ce qu'on m'a fait dans chaque parties de mon corps : bras, dos, sexe, bouche, cou... comme si c'était en train de se dérouler en ce moment même), elle est émotionnelle (je ressens la terreur, la douleur à l'identique de celle que j'ai ressenti sur le moment des actes, mon coeur s'emballe, mon cerveau panique, j'ai mal au ventre, je tremble, je vomis, je suis tétanisée de terreur...) et comprendre intellectuellement l'horreur de ce que j'ai vécu, les trahisons subies, l'abandon, l'étendue de la négligence, la puissance mise en oeuvre pour perpétuer ces actes, l'implication de mon entourage... tout cela me plonge dans le désespoir, l'envie de me suicider mais aussi la colère et la haine...
Tous ces sentiments et recentis très forts sont très éprouvants pour mon corps et mon cerveau ! J'ai besoin d'avancer en douceur, d'avoir des moments de répis ou je ne ressens plus rien, ou mon cerveau ne sait plus rien pour pouvoir souffler et reprendre des forces, pour pouvoir espérer et croire en moi et en l'être humain.
C'est pour cette raison que l'amnésie traumatique ne se lève pas d'un coup. Ce serait beaucoup trop éprouvant et insuportable !
Pour vous donner un exemple concret, je n'ai que très peu de souvenirs de mon mariage avec mon ex-mari, les choses me reviennent par bribes ou flashs de temps en temps. Mais la plupart du temps je ne me souviens de rien. Pour une bonne raison, j'ai subi des viols et des violences physiques et psychologiques avec lui, il a tenté de me pousser au suicide et continue encore à me harceler. J'ai tenté de demander l'aide de la justice, celle-ci n'a rien fait et j'ai très vite compris que si je m'entêtais à témoigner, la garde de mes filles me serait retirée. J'ai dû faire le choix du moindre risque : accepter et me taire ou les perdre et mettre mes filles dans les bras de mon violeur principal, le père de mon ex-mari, lui laisser toute la puissance et l'impunité. Leur père les a en garde alternée, je n'ai pas le choix. Alors pour ne pas hurler de désespoir et de terreur, pour que cela se passe de la manière la plus harmonieuse possible et que mes filles ne souffrent pas trop, je ne sais plus rien, j'oublie pour que cela soit supportable, parce que je n'ai pas d'autres choix...
Cette perte de mémoire et ces réminiscences s'expliquent aussi par la lutte sur les objectifs de survies de mon système de parties.
Beaucoup de mes parties, celles qui je pense n'entre ni dans la catégorie PAN ni dans celle de PE avaient pour objectif de tester des stratégies de survies.
Je pense que les PE sont des parties très petites qui n'étaient pas encore assez intelligentes, assez élaborées du fait de mon jeune âge et ont donc "subi" les traumatismes sans pouvoir les analyser et analyser le fonctionnement de mes bourreaux et des gens autour qui protégeaient. Je pense que ces PE peuvent apparaître également chez un adulte ou un adolescent qui subi un "unique" traumatisme car cette personne n'aura pas la nécessité vitale d'analyser ce qu'il vie et d'élaborer des stratégies de survies puisque une fois le traumatisme passé, il est en "sécurité" et cela ne se reproduit plus.
Je pense que ces parties que j'ai qui n'entrent pas dans les deux catégories ont dû analyser et élaborer des stratégies. J'ai subi des traumatismes de l'âge de deux ans jusqu'à l'âge adulte.
Pour m'en sortir, il a fallu que je créée des parties qui "étudient mes agresseurs" pour comprendre leur mode de fonctionnement, pour anticiper leurs actions et réactions et pour tester des façons de leur échapper soit en les provocants ou en les amadouant...
J'ai également des parties qui se sont spécialisées dans "l'étude de mon environnement", connaître le fonctionnement des gens, comprendre les règles et croyances, créer des liens... dans le but de trouver de l'aide.
Chacune de ces parties a développé un mode de pensées, d'objectifs, de compétences... spécialisées dans ce rôle attribué et n'avait aucune connaissance des autres rôles et stratégies internes.
Et j'ai des parties qui font le lien et rassemblent les connaissances et compétences de ces deux groupes de parties : mes parties "contrôles".
Cette stratégie, cette "spécialisation" a permis ma survie puisque aujourd'hui je suis en sécurité, j'ai pu échapper à la secte et je vais de mieux en mieux mais c'est aussi la "cause" de ma difficulté à témoigner et parler.
Gardez bien à l'esprit que ces parties que j'ai sont des morceaux de ma personnalité, elles sont autonomes et chacune d'elles a un vécu et une expérience propre et en a tiré des conclusions, des choses à faire et à ne pas faire pour survivre.
Certaine de mes parties ont testé la rébellion de pleins de manières différentes, cela a échoué ou m'a mis en danger. C'est donc interdit.
Certaines de mes parties ont parlé à des adultes pour demander de l'aide, elles ont été confrontées soit à l'indifférence et la négation, soit ont dû faire face à un violeur de plus. Pour elles parler est donc interdit et met en danger de mort.
Certaine de mes parties ont développé des stratégies de protections comme par exemple trouver un homme et lui "appartenir" et être ainsi sous sa "protection". Etre seule est donc interdit car être seule rend vulnérable aux attaques des autres prédateurs.
Comprenez vous à quel point parler et témoigner peut être compliqué et éprouvant pour moi ?
J'ai constamment des objectifs et des envies différentes qui luttent à l'intérieur de moi.
Lorsque il y a trois ans, j'ai été diagnostiquée comme ayant un TDI j'étais en colère, dans une rage énorme.
Comment cela a-t-il pu se passer ? Pourquoi personne ne m'a protégée ?
Je voulais dire, tout, tout de suite et à tout le monde. Je commençais à écrire ce que j'avais vécu sur les réseaux sociaux, à contacter mes proches, ma famille, les adultes avec qui j'avais vécu… Je parlais puis j'étais envahie par la terreur, l'angoisse, la culpabilité… une douleur et une terreur tellement immense qu'elle me clouait sur place. Je vomissais, je tremblais, je hurlais, mon corps entier me disait d'arrêter, j'avais des douleurs atroces dans tout le corps… J'avais l'impression d'être en train de mourir !
Parler me faisait souffrir. Il a fallu que j'apprenne à me comprendre, à dialoguer intérieurement, à écouter les protestations intérieurs, à être patiente et à l'écoute des peurs et des vécus de chacune de mes parties et à avancer pas à pas en prenant en compte chaque avis avant d'agir. Si je ne le faisais pas, les douleurs et la terreur revenaient et j'étais empêchée physiquement d'agir.
Ce qui m'aide aujourd'hui à pouvoir libérer ma parole et être moins en conflits intérieurs est que j'expérimente petit à petit d'autres expériences. Tout au long de ma vie, je n'ai vécu que des échecs lorsque j'ai demandé de l'aide. Mais ce cycle s'est enfin interrompu car j'ai enfin trouvé une psychologue qui m'a cru, m'a entendu. Enfin une personne était prête à m'écouter ! Puis j'ai pu expérimenter avec ma sœur qu'une seconde personne était prête à m'entendre et me croire.
Quelques autres personnes, des amies ou membres de ma famille commencent à entrouvrir une porte et cette expérience me fait un bien fou et m'aide à réguler mes peurs et terreurs et à modifier petit à petit mes croyances intérieurs et mes espérances quant à ma libération de la parole.
C'est le quotidien, des gens vraiment là qui soutiennent, accompagnent, écoutent qui m'aide dans ce combat que je mène, un combat extérieur mais surtout intérieur… Le moindre refus, la moindre connaissance ou personne qui fait machine arrière et je me retrouve à nouveau plongée intérieurement dans une souffrance atroce ou chaque partie se bat pour expliquer que parler va nous tuer et qu'il faut arrêter.
Et c'est la que un troisième rôle important dans la libération de la parole intervient : la société et les professionnels...
Si la société acceptait la réalité des violences sur mineurs, si les gens en général n'étaient pas si phobiques de ce genre de récits de vie, nous ne serions pas emmurés dans le silence.
Je pourrais vous citer des centaines de noms de personnes ayant croisé ma route, qui auraient pu m'aider et qui ne l'ont pas fait. J'ai eu des amis, beaucoup d'entre eux ont disparu parce que ce que je tentais de leur dire était insoutenable et qu'ils refusaient de l'entendre. Ils ont tous été des facteurs déterminants dans la perpétuation de mon silence. Ils ont été des expériences de plus pour moi d'abandon et de solitude.
La société a un rôle déterminant dans l'aide aux victimes ! Plus nous expérimenterons des expériences positives d'aide, de soutien, d'écoute plus l'espoir renaitra en nous et plus nous serons à même de nous reconstruire et de guérir.
A l'âge adulte, jusqu'à il y a quelques mois, j'étais une proie facile pour tous les tordus et prédateurs. Mes "switchs" incessants peuvent se percevoir pour qui veut bien les voir et malheureusement les prédateurs les perçoivent, j'en ai subi les conséquences dans mon travail et dans mes relations intimes ainsi que dans mes amitiés : j'ai continué à vivre des violences. Pour que ce cycle de victimisation cesse, il faut que je prenne conscience de ces modes de fonctionnement et manières d'agir que j'ai et que petit à petit je les modifie et cela ne peut se faire que en expérimentant d'autres sortes de relations humaines, des expériences positives, bienveillantes...
J'ai grandis dans une secte, mon environnement a toujours été grégaire. J'ai intégré le fait que vivre en groupe, avoir plusieurs personnes autour de soi était une force et permettait la survie. C'est pour ça que encore aujourd'hui, vivre seule dans mon appartement est une lutte incessante et terrorisante pour moi au quotidien. Pour cette raison également que être célibataire m'est si difficile. Etre seule signifie la mort pour beaucoup de mes parties.
J'ai un besoin vital de trouver des gens, une équipe autour de moi pour que je ne sois plus seule. J'ai un besoin vital d'être soutenue, j'ai porté ces souffrances toute seule, toute ma vie. Chacune de mes parties a porté sa douleur et sa souffrance, seule et abandonnée de tous. Aidez les victimes, aidez nous a expérimenter un autre vécu à faire des expériences positives de relations humaines !
Il n'y a qu'ainsi que nous trouverons la force et le courage de libérer notre parole et de protéger ainsi notre vie mais aussi la vie de pleins d'autres potentielles victimes de ces monstres !
Mon frère s'est suicidé. Il a vécu les mêmes choses que moi et malheureusement, il n'a pas eu la chance de trouver de l'aide à temps. C'était un homme merveilleux, il méritait de l'aide, il méritait de vivre une vie normale sans souffrances et la société le lui a refusé.
Chacun de nous est acteur et peut faire la différence. Chacun de nous peut-être une expérience positive qui ramènera à la vie, à l'espoir et à la reconstruction.
Et chacun de nous peut faire que le cycle des violences stoppe, que de nouvelles victimes ne s'ajoutent pas, que de nouvelles vies soient broyées...
Il n'y a qu'en dénonçant les violences subies qu'on pourra en arrêter le cycle, en mettant des conséquences effectives aux actes abjectes qu'on pourra stopper les prédateurs, en soignant et étudiant les auteurs et les victimes que l'on pourra comprendre comment stopper et empêcher…
Il faut cesser de fermer les yeux !