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La phobie de l'expérience intérieure

Toute personne a des expériences intérieures.

"Notre vécu intérieur est constitué de ce que nous pensons, sentons, nous remémorons, de ce que nous percevons, comprenons, décidons, planifions et prévoyons. Nous pourrions également nommer cela les actions mentales ou l'activité mentale. Nous sommes continuellement occupés par une activité mentale, que ce soit ou non une combinaison avec une activité physique. Cela peut exercer une influence tant positive que négative sur notre vie et notre bien-être.

En prenant conscience des expériences internes qui influencent momentanément votre vie de façon négative (comme des croyances négatives sur vous-mêmes et les autres, ou d'autres sentiments et réactions qui vous viennent du passé), vous pouvez apprendre à les gérer et de ce fait, finalement arriver à les changer. Il est essentiel de travailler sur ces souvenirs, de les comprendre et d'apprendre ensuite à les corriger progressivement. L'évitement chronique est appelé évitement expérientiel ou bien phobie de l'expérience intérieure." Gérer la dissociation d'origine traumatique (Boon, Steele & Van der Hart, 2014).

Il existe 3 causes à l'évitement de l'expérience interne :

  • Les personnes traumatisées n'ont pas appris et eu l'aide nécessaire pour apprendre à faire face à des expériences intérieures intenses (des sentiments ou ressentis très forts ou très envahissants).

  • La tendance à les qualifier de "bonnes" ou "mauvaises". Cette étiquette est généralisée pour qualifier la personne en tant que telle. La colère est mauvaise et dangereuse donc si je ressens de la colère, je suis mauvaise et dangereuse. Les personnes qui se sentent repoussantes et sans valeur sont honteuses donc si j'ai honte, je suis repoussante et sans valeur.

  • Certains vécus intérieurs fonctionnent comme des déclencheurs et réactivent les expériences traumatiques du passé ou réveillent la terreur que quelque chose d'épouvantable va arriver.

Comme je vous l'ai expliqué, dans la secte dans laquelle j'ai grandi, écouter ses besoins et ses envies était interdit et critiqué. Il fallait se donner corps et âme à la secte, donner son temps et son énergie, taire ses envies et besoins pour se conformer aux envies et besoins du groupe et du gourou. Les adultes autour de moi m'ont donné ce modèle pour grandir et me construire. L'autre passait avant soi, les ordres du gourou passaient avant tout. Dieu décidait de tout pour nous par l'intermédiaire du gourou. Nous ne devions pas penser, réfléchir, le gourou le faisait pour nous. Il était le seul à savoir, Dieu lui était apparu, Dieu lui parlait. Dieu avait des plans pour nous, des desseins. S'écouter intérieurement revenait à douter. Douter était l'oeuvre du mal et trahissait un manque de foi.

Petite lorsque je ressentais quelque chose, ou que je désirais quelque chose, ces ressentis et ces désirs étaient passés à la loupe par tous et on m'a appris à les qualifier de bons ou de mauvais, de bien ou de mal, venant de satan ou de dieu. Lorsqu'ils étaient qualifiés de mauvais, je devais en payer le prix soit en en demandant pardon et en me confessant soit en étant punie. Nous étions tous classés, étiquetés comme des personnes tendant vers la sainteté ou des personnes possédées par le démon.

Ce qu'on évite, on ne peut pas le changer. On a une expérience intérieure : on ne l'est pas.

"En comprenant la signification de nos pensées et de nos réactions, nous pouvons nous interroger sur nos croyances, y apporter des changements et par conséquent, agir plus efficacement. Par la réflexion, nous transformons nos réactions automatiques en réactions consciemment choisies." Gérer la dissociation d'origine traumatique (Boon, Steele & Van der Hart, 2014).

J'ai constamment tendance à fuir mes ressentis intérieurs. Toutes les règles et les dictas de la secte sont ancrés très profondément en moi et sont associés à de la honte et de la culpabilité très intenses. La dimension spirituelle qui a été donnée pour renforcer ces interdits ajoute un degré de plus dans la manipulation et l'emprise que j'ai subie. De plus, les expériences intérieures que je peux vivre sont associées à des actes de tortures extrêmes, des moments où j'ai failli mourir de douleur ou de terreur dans le passé. Ces actes n'ont pas pu être expliqués, analysés, compris, intégrés... 

 

Au début de ma thérapie, il y a 3 ans, je refusais d'accepter le fait que j'avais un TDI, que j'avais des parties dissociatives. Beaucoup de mes PAN se disaient que je ne pouvais pas avoir une vie si équilibrée, que quelqu'un aurait vu mes "switchs", ou me l'aurait diagnostiqué avant... Mes parties se présentant comme "loyales à mes agresseurs" me rappelaient tout l'amour et toute la gentillesse que j'avais reçu d'eux, mes souvenirs heureux me revenaient en boucle... Ce n'était tout simplement pas possible ! J'étais folle, je divaguais et ma psy aussi !

Mes parties "contrôles" pour arriver à faire comprendre et accepter ce diagnostique ont fait du forcing! J'avais de longues périodes où elles laissaient venir une à une mes parties PE, celles portant le souvenir et les sensations de mes traumatismes. Je plongeais alors dans la terreur, la douleur physique et les flash-backs pendant plusieurs heures. C'était généralement le soir ou le weekend lorsque j'étais seule chez moi. Je me retrouvais alors allongée dans mon lit ou clouée au sol pendant des heures entières. Je vomissais, mon souffle était coupé, je ne pouvais plus bouger, parler, me nourrir... la souffrance était si intense, si insupportable et atroce !! Et je n'avais aucun moyen d'y échapper. Mon esprit n'avait plus aucune capacité de réflexion, je revivais ces instants comme si j'y étais au moment même. Je n'étais plus chez moi, dans mon appartement, en sécurité, j'étais dans les lieux de mon enfance... Je sentais une pointe de couteau s'enfoncer dans ma poitrine, je sentais un corps me grimper dessus, je sentais son poids qui m'écrasait, je sentais les caresses d'une main sur mon corps... J'entendais les paroles, je voyais des meubles, des lieux... Je ressentais dans tout mon corps la terreur et la douleur que j'avais ressenties quand j'ai subi ces actes. La réalité n'existait plus, seul le souvenir, ce que je vivais était vrai, plus rien d'autre n'existait et je n'avais aucun moyen d'y échapper. Les parties faisaient du "partage forcé".

Dès que, pendant quelques jours, ce "partage forcé" cessait, mes parties qui niaient recommençaient à douter. Dès que l'une d'elle mettait en doute les traumatismes subis, je replongeais dans la douleur et la terreur. Mes "parties contrôles" ont procédé ainsi jusqu'à ce que toutes mes parties acceptent ce fait : j'ai été violée, j'ai subi de très nombreux viols.

Puis mes "parties contrôles"ont utilisé une autre technique pour faire comprendre et intégrer les choses. Elles ont laissé certaines de mes parties PE agir et reproduire dans ma vie de tous les jours certaines des "scènes" que j'ai vécu dans le passé. Comme un robot, je rejouais des scènes de violences sexuelles avec mon partenaire. J'étais dans le présent avec mon partenaire mais c'est comme si deux réalités se superposaient, je le voyais lui mais je voyais aussi mon violeur du passé, et comme un automate, je refaisais exactement le déroulement du viol avec comme "acteur" à la place de mon violeur, mon partenaire. Et j'entendais des parties s'exprimer : "tu vois c'est comme ça que ça c'est passé, il t'a fait ça..." Puis des parties "analyse et observation" expliquaient dans ma tête le déroulement des choses, ce qui était normal ou anormal... Elles m'aidaient et aidaient toutes les parties forcées d'être présentes à analyser les situations, à comprendre, à mettre du sens...

J'ai commencé petit à petit à accepter et écouter : à cesser de fuir. Cette "obligation de partage"a fait que j'avance plus vite aussi. Le déni était très intense en moi, j'aurais sans doute mis des années à accepter d'écouter sans cela. Et de toute façon je n'avais pas le choix, dès qu'une objection était formulée, les parties contrôles faisaient une petite "piqûre de rappel" à laquelle je ne pouvais pas me soustraire !

J'ai fini par accepter. Ensuite il a fallu également instaurer un dialogue, une communication interne. Mes parties PAN refusaient de laisser les autres parties s'exprimer et venir voir mon quotidien. Il est primordial que toutes mes parties s'orientent dans l'ici et maintenant, qu'elles comprennent que je suis en sécurité à présent, que j'ai grandi, que ma vie est différente... Il est donc important qu'elles puissent voir mon quotidien, qu'elles expriment leur pensées, désirs (que leur venue ne soit plus due uniquement à des déclencheurs)... pour qu'elles puissent intégrer de nouvelles perspectives, une nouvelle façon d'agir qui soit adaptée à ma vie d'aujourd'hui et ne soit plus centrée sur l'expérience atroce qu'elles ont vécue. C'est de cette façon que je réussirai à avoir une vie plus "lisse" et que je souffrirai moins. Il y a donc également eu des moments (bien choisis qui ne me mettaient pas en danger) ou mes parties PAN ont été soit bloquées et les autres parties devaient gérer mon quotidien à leur place, les PAN étant des spectatrices ne pouvant pas intervenir. Et des moments ou elles étaient "forcées" de cohabiter avec d'autres parties sans qu'elles puissent les empêcher d'agir ou conseiller dans mon quotidien. J'ai fini par comprendre et accepter que nous étions très nombreuses et que la seule façon d'aller mieux était d'instaurer un dialogue, de faire des compromis. Si le dialogue ou le compromis était refusé, je me trouvais plongée dans un chaos pas possible et mes PAN se retrouvaient dans l'impossibilité de faire quoi que ce soit. C'était soit vous acceptez soit on vous empêche ! Cela m'a aussi permis d'avancer très vite. A présent nous dialoguons beaucoup et aucune décision n'est prise sans un accord de tout le monde ou d'une majorité. Je suis un modèle de démocratie intérieure...

De la même façon, j'ai des parties qui souhaitent dire tout, à tout le monde. Elles veulent informer la presse, mes proches, porter plainte... Pour leur faire comprendre qu'agir ainsi sans l'accord de tout le monde et sans une analyse préalable était dommageable, mes parties "contrôles" les ont régulièrement bloquées. Dès que je m'apprêtais à témoigner, j'étais coupée, recroquevillée dans mon lit ou par terre. Je ne pouvais plus bouger prise de terreur. Les parties contrôles laissaient d'autres parties ayant vécu le fait de témoigner et en ayant subi les conséquences montrer ce qu'elles avaient subies. Je souffrais ainsi jusqu'à ce que intérieurement mes parties cherchant à témoigner capitulent et acceptent de ne pas le faire. A présent, un dialogue s'est instauré, je réfléchis, je me renseigne sur les lois, le fonctionnement de la justice et de la société... je me prépare petit à petit pour témoigner, je le fais par étapes pour rassurer mes parties angoissées et leur faire intégrer que dire ne me tuera pas, j'avance à leur rythme. 

Ma phobie de l'expérience intérieure n'est pas encore résolue. Je suis toujours terrorisée par le partage des souvenirs, surtout celui des images et sensations corporelles du moment exact des viols. J'ai peur d'avoir les goûts, de voir les sexes, d'entendre les râles... J'ai peur des détails. J'ai peur que ces détails ne restent gravés dans ma mémoire. Oublier par moment est un soulagement. Faire comme si mon passé n'était pas sali par ces actes abjectes est un soulagement. J'ai peur de ne pouvoir voir et penser qu'à cela lorsque mon intégration des souvenirs sera totale, lorsque je n'aurais plus aucune amnésie dissociative... J'ai peur de ne plus pouvoir espérer, rire, vivre... J'ai peur que mon monde ne soit plus que noirceur et dégoût.

J'ai encore des périodes où pour échapper à mon expérience intérieure, je me plonge dans une tâche à accomplir pour m'occuper l'esprit (le travail, le ménage, les papiers…), je mets de la musique à fond pour ne plus rien entendre, je regarde des séries ou des films pour me concentrer uniquement sur cela... Une de mes parties se met à chanter des chansons lorsqu'elle veut échapper aux souvenirs, elle entonne alors à tue-tête "frêre Jacques ou pomme de reinette et pomme d'api" ou n'importe quelle autre chanson...

 

Pour faire face aux expériences intérieures, il faut développer une réflexion rétrospective (un peu comme réfléchir à tête reposée, prendre du recul à un moment propice pour analyser ):

  • réfléchir sur une réaction chronique à une émotion

  • réfléchir à propos d'une partie dissociative de notre personnalité

  • réfléchir pour comprendre les autres

 

Pour cela on a besoin de :

  • Etre dans l'ici et maintenant

  • Prendre conscience sans juger

  • Observer les similitudes et différences entre le passé et le présent

  • Etre empathique et compréhensif envers soi-même et ses parties

Il faut aussi :

  • Garder toujours en tête que chaque partie dissociative, chacune de leurs actions a été faite et est faite dans un seul et même but : nous sauver, nous protéger, nous aider. Elles ont une bonne raison de l'avoir fait et de le faire !

  • Toutes mes parties dissociatives sont bonnes, aucune n'est à "tuer" ou "faire disparaître", aucune n'est mauvaise ou méchante ! 

  • Toutes se sont senties seules, toutes ont souffert et porté leur souffrance dans la solitude, toutes ont besoin de l'amour, la tendresse, l'écoute et la compassion des autres parties.

  • Toutes se sont senties jugées, rejetées, haïes par les autres parties. Toutes ont besoin de sentir qu'elles sont acceptées, comprises et remerciées intérieurement pour leurs rôles dans ma sauvegarde et ma survie.

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