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Apprendre à accepter ses émotions

Citations du livre "Gérer la dissociation d'origine traumatique" (Boon, Steele & Van der Hart, 2014) :

"Les émotions font partie des fonctions élémentaires de l'être humain. Celles-ci fonctionnent comme des indicateurs et nous aident dans la prise de décision. Elles fonctionnent comme des signaux pour nous comporter d'une certaine façon dans des situations données. Ainsi un sentiment d'amour contribue à approfondir le contact avec quelqu'un à qui l'on tient ; la peur nous aide à éviter des situations dangereuses ; la joie nous stimule à aller à la recherche d'expériences plaisantes. Les émotions ont la fonction importante de nous inciter à un comportement qui satisfait nos besoins et qui nous aide à atteindre un but spécifique.

Certaines émotions sont une réaction automatique à quelque chose qui se passe dans notre environnement. D'autres émotions sont une réaction à vos propres pensées, actions et sentiments ( honte de ressentir de la tristesse, culpabilité d'être en colère).

Les émotions sont fortement liées à nos pensées, nos actions, nos expériences sensorielles et à la façon dont nous percevons le monde. Celles-ci s'influencent et s'activent mutuellement et continuellement, ce qui crée une série (ou un cercle) d'expériences."

Dans la secte dans laquelle j'ai grandi, je n'ai pas appris à gérer et identifier, reconnaitre mes émotions. Certaines émotions comme la peur, ou l'angoisse étaient perçues comme mauvaises et néfastes, cela signifiait un manque de foi en Dieu et en la "providence" (le fait que Dieu nous entend et pourvoira à nos besoins par l'action de nos prières). Souvent, nous manquions d'argent ou de nourriture... le gourou disait qu'il suffisait de prier et que dieu nous donnerait ce dont nous avions besoin. Et si cela ne nous était pas donné, c'était que nous n'en avions pas vraiment besoin ou était montré comme un signe de dieu pour éprouver notre foi en lui. A plusieurs reprises, nous les enfants nous devions prier à la chapelle pour demander ce dont tout le monde avait besoin car "la prière des enfants monte directement au ciel". Une sorte de responsabilité était mise sur nos épaules. Si nous n'avions pas suffisamment prié, c'était notre faute si nous n'avions pas à manger...

Notre peur et notre angoisse étaient niées. Certaines des personnes que nous accueillions étaient dangereuses, la peur et les inquiétudes de nos parents pour notre sécurité étaient balayés d'un revers de main, Dieu nous protégeait. J'ai assisté (vu ou entendu) à beaucoup de scènes de violences, des bagarres au couteau, des suicides, des morts, des malades mentaux qui "pétaient un plomb"... Tout ce que cela pouvait générer chez moi comme angoisse était nié voir ridiculisé. Je devais accueillir et aimer "les pauvres" comme Dieu le faisait... Avoir peur signifiait que j'étais égoïste, non tolérante, que je n'étais pas bonne car je n'aimais pas mon prochain.

Ma famille a été envoyée vivre dans un pays du tiers-monde pour remplacer une autre famille (dont les parents étaient médecin et infirmière !) alors même que leur fille venait de mourir d'une maladie tropicale ! La mort de cette enfant était la volonté de Dieu, nous ne devions pas avoir peur. Dans ce même pays, il y a eu une guerre civile durant plusieurs années assez grave avec des centaines de morts. Nous n'avons pas été rapatriés... Ou en tout cas, lorsque nous sommes rentrés en France ce n'était pas pour cette raison.

Certaines émotions étaient interdites : la colère par exemple.

Toutes les personnes qui se mettaient en colère étaient réprimandées publiquement, on priait pour elles dans la chapelle pour que leur mauvais penchant, le démon en eux s'en aille. Si ils persistaient, ils étaient punis d'une façon ou d'une autre. Soit ils étaient mis à l'écart dans une autre maison et perdaient leur "statut" dans la secte (rétrogradés), soit ils étaient envoyés dans un pays très pauvre et dangereux pour éprouver leur foi en Dieu. Si la colère était dirigée contre les gourous, ils étaient bannis et devaient partir, ils n'existaient plus, on ne devait plus en parler. Mon père était très colérique et nous avons dû beaucoup déménager à cause de cela. Nous en subissions les conséquences matérielles et physiques.

Je n'ai pas appris à interpréter correctement les émotions et intentions des autres personnes. Comme ces émotions étaient taboues, personne ne me les as nommées lorsque je les ai ressenties ni ne m'a aidée à les canaliser. Elles ne devaient pas exister tout simplement. J'ai donc appris très jeune à éviter de ressentir ces émotions, à nier leur existence en moi, à les garder cachées à l'intérieur de moi...

J'ai aussi une grande peur liée à cet interdit de les exprimer de perdre le contrôle si je le fais. L'impression que si je m'accorde le droit de ressentir cette émotion, elle sera comme un immense raz de marée qui me submergera et que je ne pourrais plus l'arrêter, qu'il m'étouffera, me tuera...

 

Mes différentes parties se sont réparti les "rôles" : certaines parties portaient la peur, la colère, l'angoisse, la rage et restaient cachées intérieurement, refoulées... D'autres ne ressentaient rien et interagissaient extérieurement pour se conformer au groupe et à ses attentes.

Les psys parlent de "fenêtre de tolérance" des émotions : les TDI ressentent soit beaucoup trop soit pas assez ou pas du tout. Il n'y a pas d'entre deux.

Pour gérer cette "fenêtre de tolérance", il faut faire appel à deux compétences : l'autorégulation et la régulation relationnelle.

L'autorégulation s'acquière petit à petit en grandissant. On apprend à écouter nos émotions et à satisfaire nos propres besoins, on se rend compte de ce qui nous fait du bien et de ce qui nous fait du mal. Dans la communauté, s'écouter intérieurement, être attentif à ses propres besoins était interdit et très mal vu. Je n'ai donc que très peu appris cette compétence. La régulation relationnelle s'acquière dans la petite enfance. Un bébé qui pleure va être consolé par ses parents, si il a faim il va être nourri, si il a peur il va être rassuré. Petit à petit il va apprendre à se tourner vers l'autre pour exprimer ses ressentis et besoins. De la même façon, cette compétence m'est très difficile à appliquer car exprimer ses peurs et ses besoins étaient très critiqués dans la secte et pouvaient avoir des conséquences graves. 

La suractivation : c'est le fait de ressentir trop fort, de manière excessive.

"La caractéristique de certaines parties dissociatives de votre personnalité est leur ressenti excessif continuel, parce qu'elles sont coincées dans des expériences traumatiques et submergées, par exemple par l'angoisse, la douleur et la honte. c'est ce que nous appelons la suractivation."

la sous-activation : c'est le fait de ne rien ressentir ou très peu.

"Parfois, vous ne ressentez pas excessivement, mais plutôt "trop peu". Nous appelons cela la sous-activation. On parle de sous-activation si en réaction à des émotions intenses, vous ( ou des parties de votre personnalité) les évitez au point de ne ressentir que très peu ou pratiquement rien du tout. Elles ne sont pas ou très peu conscientes de la présence ou de l'existence de ces autres parties (les parties qui ressentent trop). Lorsqu'elles le sont, elles font preuve de peu de compréhension à leur égard, voir d'aucune. Certaines expériences sont mauvaises et doivent être évitées. Ce comportement d'évitement contribue largement au maintien de la dissociation."

Les personnes TDI sont soit suractivées soit sous-activées. Généralement lorsque je sens que ma colère monte ou que je ressens de la honte ou de l'angoisse, très vite je "switche" en une partie qui ne ressent plus rien, qui est indifférente, comme si j'étais dans un voile de coton qui me protège de tout bruit intérieur ou extérieur, de toutes pensées jugées "négatives" ou de toutes sensations.

La colère

J'ai un groupe de parties qui se nomment "les colères". J'ai mis beaucoup de temps à les accepter comme faisant partie de moi et de mes pensées et ressentis. Lorsque j'étais en colère, j'avais l'impression que cela ne venait pas de moi, que cette colère appartenait à quelqu'un d'autre et je la mettait de côté, la niais.

J'ai deux "types" de parties colères : les défensives et celles imitant mes agresseurs.

Mes parties "colères-défensives" sont tout le temps sur le qui-vive, elles sont en hyper-vigilance et tentent de décrypter et repérer en permanence dans mon environnement les signes de danger. elles sont prêtes en permanence à me protéger, à attaquer ou combattre. C'est là leur stratégie de survie, leur but existentiel.

Mes parties "colères-imitant l'agresseur" s'expriment uniquement intérieurement, leur stratégie et leur colère est retournée contre moi uniquement. Lors de leur création, ces parties ont tenté une stratégie de survie avec mes agresseurs. Cette stratégie de défense a échoué, j'ai soit souffert beaucoup plus (été battue ou punie avec plus de violence), soit le nombre de mes agresseurs a augmenté. Elles ont donc pour fonction de m'empêcher de recommencer cette action car elles ont appris que cela me mettait en danger. Elles ont appris que montrer sa vulnérabilité ou ses faiblesses amenaient à plus de traumatismes et de violences. Elles ont intégré tous mes échecs dans mes tentatives d'appel à l'aide donc pour elles tout espoir est vain, il ne faut faire confiance à personne. Elles luttent donc au quotidien dès qu'une autre partie tente l'une de ces approches en menaçant intérieurement, en faisant souffrir intérieurement, reproduisant la voix et les façons d'agir et d'être de mes agresseurs.

J'ai mis longtemps à accepter et tolérer ce type de partie comme faisant partie de moi et de mes ressentis. Longtemps ces parties se sont senties très seules et détestées des autres parties de moi. J'ai cru à certains moments qu'une part de mes agresseurs se trouvait en moi, que leur souillure m'avait tellement imprégnée qu'ils étaient entrés dans mon esprit et y vivaient d'une certaine façon, continuant à me menacer et me faire souffrir. A présent je sais que ces parties sont bonnes, qu'elles ont agi ainsi pour une bonne raison : ma protection et ma sauvegarde. Un dialogue s'est mis en place et petit à petit elles modifient leur façon de me protéger.

Ma colère masque souvent d'autres émotions comme le chagrin ou la honte ou la culpabilité. Souvent je ressentais beaucoup de colère lorsque j'entendais intérieurement des parties pleurer. Pour certaines parties il est dangereux et honteux d'être en colère, tandis que pour d'autres, il est dangereux et dommageable d'être vulnérable.  S'en suit des luttes incessantes intérieures... Voir la colère chez quelqu'un d'autre est un déclencheur pour certaines de mes parties qui ont subies la colère de mon père et la rage destructrice de mes agresseurs.

L'angoisse :

L'angoisse est une émotion qui sauve la vie, elle signale la nécessité de mettre en place des stratégies de survie.

C'est ce que font certaines de mes parties : "les rêveuses".

J'ai une partie par exemple, lorsque je suis au volant qui me fait "voir" sous forme de rêves éveillés tous les accidents possibles et ce qui pourrait m'arriver. Lorsque je double un camion, je me vois cogner ses flans et faire un tonneau sur le bas-côté, je suis donc hyper-vigilante. Je n'ai jamais eu d'accident de voiture.

Lorsque j'ai quitté mon ex-mari, les "rêveuses" m'ont montré sous forme de rêves éveillés tout ce que mon ex-mari pourrait faire, tout ce qui pourrait se passer si je perdais la garde de mes enfants... j'étais donc déjà préparée au pire et j'étais "prête" à encaisser le choc et à ne pas m'effondrer si cela se passait. Elles faisaient la même chose avec mes agresseurs, elles anticipaient leurs actions possibles pour que mon choc émotionnel et corporel du traumatisme soit moins intense.

Mais ces stratégies intérieures ont un prix fort à payer, c'est comme si j'ai un signal d'alarme interminable qui résonne dans tout mon corps en permanence ! Mon patron m'appelle dans son bureau ? En une fraction de seconde, toutes les possibilités sont balayées et toutes les réactions à avoir sont planifiées : il va me virer, il va gueuler, il va me faire du mal...

 

Mais ces stratégies se révèlent inappropriées dans le présent !

 

Dans mon passé, elles étaient efficaces, elles m'ont permis de survivre, d'anticiper, d'encaisser le choc... Dans mon présent, comme elles sont automatiques (puisque j'ai dû m'en servir toute mon enfance et mon adolescence et une partie de ma vie d'adulte) je n'arrive pas à percevoir les signaux qui me montrent que je suis en sécurité.

 

Mon patron est un homme bien, il n'a aucun geste déplacé, il est satisfait de mon travail et me fait confiance, il me donne des responsabilités...

 

J'ai beaucoup de mal à me distancer de la colère de quelqu'un, à ne pas la prendre pour moi, dirigée contre moi... J'ai beaucoup de mal à entendre et percevoir qu'une personne puisse être en colère parce qu'elle est fatiguée ou contrariée par quelque chose d'extérieur à moi.

Et lorsque je suis confrontée à de la violence comme j'ai pu l'être après ma séparation avec mon ex-mari (au travail ou en couple), j'ai tendance à "switcher" en des parties qui ne ressentent pas d'angoisses et ont la phobie d'en ressentir. J'ai alors tendance à ignorer complètement les signes de danger et de violence et à en minimiser l'impact.

Honte et culpabilité

La culpabilité est une forme de honte en lien avec nos actions, tandis que la honte concerne "l'être" de la personne.

Je ressens beaucoup de honte envers moi-même, ce que je suis, et beaucoup de honte sur ce que j'ai vécu. Je me sens sale, souillée jusqu'au plus profond de mon âme.

A cela s'ajoute les phrases assassines de mes violeurs "c'est ta faute si je fais ça, tu l'as voulu, tu l'as provoqué, tu aimes ça, ça t'excite...", et les menaces qu'ils ont pu me faire "je vais te tuer, je vais tuer tes parents, je vais leur faire du mal... ". J'ai le sentiment profondément ancré que je ne mérite pas d'affection, que je n'ai pas de valeur... Le gourou a reproché à mes parents la mort de ma sœur, il leur a dit que c'était la punition donnée par Dieu pour réparer une faute qu'ils avaient commise. J'ai survécu et j'en ai longtemps porté le poids. Mon père m'a dit un jour que je n'étais pas sa fille, qu'il ne me reconnaissait pas. Je n'aurais pas dû exister...

Les stratégies que l'on peut mettre en place pour faire face à la honte et la culpabilité peuvent être différentes selon les victimes :

  • s'attaquer soi même,

  • attaquer les autres,

  • éviter le vécu intérieur,

  • s'isoler

A cela s'ajoute le fait que beaucoup de mes parties ne réalisent pas que j'étais une enfant lors des viols et violences. Elles ne comprennent pas que j'avais un corps d'enfant, la force d'un enfant face à la supériorité d'un adulte et se sentent responsables. Elles pensent de façon erronées que j'aurais pu me débattre plus fort, j'aurais pu crier plus fort... oubliant et occultant tout ce qui a fait que cela puisse se passer. 

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