Cet article est assez étrange pour un premier jour de cette nouvelle année 2022... Mais quand J'ai un truc dans la tête c'est assez difficile de l'en sortir!!! Ha ha !!! J'espère que vous me pardonnerez!
Je vous souhaite à chacune et chacun beaucoup de joies, de rires, d'amour et de bonheurs partagés pour cette nouvelle année!!
Depuis presque un an je lis beaucoup sur le sujet de la dysphorie. J'essaie de comprendre les différents positionnements, points de vues. Tout d'abord parce que c'est un sujet de société très actuel et médiatisé mais aussi parce que c'est un sujet très clivant et discuté avec beaucoup de violences sur les réseaux sociaux.
Depuis un bon moment, j'ai envie d'écrire un article à ce sujet mais je n'osais pas. Par peur d'être victime de violence, d'être critiquée parce que je souhaite témoigner d'un point de vue qui n'est pas abordé jusqu'à maintenant (ou en tout cas, je ne l'ai pas vu mentionné). Par peur que mes propos blessent ou soient mal compris...
Ayant grandis dans une secte dans laquelle, s'exprimer, avoir un point de vue, se questionner était interdit, il est primordial pour moi d'apprendre à me sentir libre d'écouter des points de vues divergents, me positionner ou questionner sans me sentir en danger parce que l'interlocuteur en face exprime un interdit de le faire. Ce genre de réaction, interdire de façon virulente de discuter ou critiquer est un déclencheur pour moi qui me renvoie à des automatismes acquis dans la secte, cela allume mes alarmes internes et est source de beaucoup de souffrances et de conflits intérieurs. Dans la secte, seul le point de vue du gourou était légitime. S'opposer à lui, penser différemment ou de façon plus nuancée était interdit. Si un membre de la secte le faisait, l'opprobre s'abattait sur lui, plus personne n'avait le droit de discuter avec lui, si il persistait, il pouvait être muté ailleurs où les conditions de vie pouvait être plus précaires voir dangereuses ou être chassé de la secte et disparaître totalement... Donc à chaque fois que je lis des articles qui expriment des avis contraires ou des désaccords, lorsque je me permets d'exprimer un point de vue divergent ou que je me permets de critiquer un sujet, je suis plongée involontairement dans ce sentiment qu'une menace plane au dessus de ma tête, ma vie est en danger, ce que je fais ou pense est mal, je n'ai pas le droit de le faire...
Je combats donc cela, et petit à petit, à force d'expériences, de tentatives, je tente de me détacher de ces croyances pessimistes et d'assimiler que c'est mon droit et qu'en faisant cela, je ne fais rien de mal.
C'est grâce à des discussions ouvertes avec des gens que petit à petit j'ai ouvert les yeux sur la façon dont j'avais été éduquée, la manipulation dont j'avais été victime, l'emprise et les violences que j'avais subi. Sans discussion, sans partage, on ne peut pas comprendre l'autre et on ne peut pas se comprendre soi-même. C'est la confrontation qui permet la connaissance, c'est l'ouverture à l'autre qui enrichie. Critiquer ou questionner n'est pas nier, n'est pas refuser ou faire taire et vouloir que l'autre disparaisse. Discuter et échanger permet au contraire de libérer la parole et permet de se rejoindre. C'est un pont vers notre humanité.
Comme vous le savez, j'ai un trouble dissociatif de l'identité, aussi appelé TDI. Dans un TDI, on a plusieurs parties dissociatives. Certaines de ces parties dissociatives peuvent "se sentir" masculines ou féminines. J'ai des parties dissociatives avec des noms masculins ou des "fonctions masculines". J'ai une majorité de parties dissociatives "féminines" mais cela aurait pu ne pas être le cas. D'une certaine façon, je me dis que j'aurais pu me "sentir homme" à certains moments de ma vie sauf que à présent je comprends mieux le pourquoi de l'existence et la nécessité de ces parties dissociatives "masculines" en moi.
Ces parties dissociatives sont une façon de m'autoriser à être fort, à combattre, à faire des tâches et rêver vivre des choses qui n'étaient réservées que aux hommes dans la secte dans laquelle j'ai grandi. Je respecte évidemment les personnes trans et ne nie ni leurs droits ni leur existence et légitimité à s'exprimer et revendiquer d'être compris et acceptés tels qu'ils ou elles sont !!! Et en aucun cas, je ne me permettrais de dire que ces personnes sont toutes identiques à moi, vivent la même chose que moi et que donc elles devraient voir les choses de la même façon que moi !!
La seule chose dont je souhaite témoigner est que parfois une forme de dysphorie peut être ressentie lorsqu'on a un TDI et lorsqu'on a subi des violences. Et il est important pour moi d'en témoigner. Je ne suis pas psychologue ou psychiatre et je n'ai pas la prétention de m'auto diagnostiquer. Je ne sais pas avec certitude si ce que je ressens parfois pourrait être qualifié de "dysphorie" au sens psychiatrique du terme. J'en ai juste lu les critères dans le DSM V et lu de nombreux articles ou témoignages parlant de cela et m'y suis reconnue en partie. Je souhaite simplement aborder ce sujet qui me touche d'une certaine façon et exprimer ici ma réflexion personnelle.
Je suis gênée par le discours de "si tu te sens... Alors tu es...".
Parce que dans mon trouble, le TDI, je me "sens" beaucoup de choses !
Parfois je me sens petite, lorsqu'une de mes parties dissociatives toute petite vient, j'ai le tournis, mon corps me semble gigantesque, quand je regarde autour de moi, les objets, le point de vue que j'en ai est très étrange.
Parfois je me sens ado. J'ai un comportement "ado", je vais avoir un discours très catégorique, piquer des colères, bouder, glousser et faire des blagues débiles...
Parfois je ne me sens pas mère. Je refuse cette réalité. Elles ne "sont pas à moi". Mes filles me sont très étrangères, je ne les reconnais pas, leurs besoins me saoulent. C'est le cas généralement quand des parties dissociatives enfants ou adolescentes sont présentes.
Mais je suis une adulte, dans un corps d'adulte. J'ai des responsabilités d'adulte, je suis mère de deux filles, j'ai un travail, je dois subvenir aux besoins de ma famille.
Parfois je me sens morte, détachée de mon corps, incapable de le bouger ou le sentir. C'est une façon pour moi d'échapper aux viols qu'il a subi, ne pas porter ce poids, cette culpabilité, ces ressentis abjectes... Ce n'est pas à moi que c'est arrivé, je n'ai rien vécu de tout cela. Mon corps est toujours "pure".
Mais je ne suis pas morte. Je suis bien vivante et on m'a violé. Et je dois accepter cela, me pardonner, pardonner à mon corps, pardonner à ces parties qui n'ont eu d'autres choix pour survivre que d'abandonner mon corps. Si non, je serais morte.
Parfois je me sens femme. Je peux être très sexy, cambrer mon corps de façon aguicheuse, faire des moues avec mes lèvres, m'habiller avec des talons, me maquiller, mettre des tenues très courtes dévoilant mes formes...
Parfois je me sens mère, et je ne me comporte plus de cette façon aguicheuse, je peux avoir des tenues féminines mais beaucoup plus "correctes", être vigilante et ne pas chercher à "draguer", avoir un comportement et une tenue "respectables"... Mon rôle de mère, mes filles et leur bien-être passent avant tout, rien d'autre n'existe.
Pardonnez cette vision très stéréotypée. Dans la secte, la vision de la femme était très manichéenne. Officiellement, la femme devait se marier (de préférence avec un adepte et si ce n'était pas le cas, le convertir), avoir des enfants très rapidement (beaucoup de préférence). Certaines familles de la secte étaient glorifiées car elles représentaient la famille idéale, une copie de la sainte famille dans la bible... La femme n'avait pas d'autre alternative, soit elle donnait des enfants soit elle était sœur consacrée et devait être pure et dans le don total aux autres et à la secte.
Le sexe était tabou. Dieu donnait les enfants, ils étaient un miracle. Il fallait les éduquer parfaitement selon les règles de la secte puis une fois adultes, le summum de la réussite était qu'ils s'engagent dans la secte comme leurs parents.
Officieusement, le gourou me demandait de me comporter en "pute". Il me filmait, me prenait en photo et je devais jouer la femme sexy et aguicheuse lors des viols.
Ce qui est très étrange pour moi est que la partie qui "joue ce rôle", Enzo est mineur. Préadolescente en fait. Mais quand elle est présente au premier plan en moi, j'ai du mal à assembler son âge et son comportement. Le gourou lui disait qu'elle était une femme. Il aimait ses petits seins et son corps de femme. Je me perçois de façon biaisée. Je me "sens" femme parce que les paroles du gourou raisonnent en moi. Mais il y a peu de temps, j'ai fini par réaliser qu'en fait à ce moment là, j'avais le corps d'une petite fille, des seins inexistants ou presque. Et j'ai encore du mal à assembler en un tout cohérent ces données... La façon dont je me "sens" est différente de la réalité des faits. J'ai également du mal avec les sentiments que j'éprouve envers cette partie dissociative. Certaines de mes parties la jugent et l'appellent "la pute" et non Enzo. Nous avons honte de son comportement et à chaque fois qu'elle vient au premier plan, lorsqu'elle se retire je ressens beaucoup de honte, de colère et de ressentiment intérieur vis-à-vis d'elle. Ce n'est pas moi, je suis sainte moi, je ne me comporte pas mal, je ne suis pas une pute... Et au contraire, quand elle est présente, je me sens forte, emplie d'un pouvoir, d'une puissance, je suis Femme, j'ai un pouvoir sur les hommes... Je ne suis plus une victime, c'est moi qui décide et je peux faire en sorte qu'ils tombent amoureux de moi, qu'ils soient gentils avec moi... Je "contrôle" la situation.
Parfois je me sens homme. Je m'habille avec des habits de mecs, je me comporte en mec. Je suis sûr de moi, fort. Ma voix est plus grave, je suis autoritaire. Je trouve que mon visage et mes yeux changent. Mon visage est plus masculin, mon regard est plus dure. J'ai beaucoup de mal quand ces parties dissociatives sont là à voir mon corps tel qu'il est, avec des seins, une vulve. Lorsqu'ils sont là, mes seins n'existent pas et je n'ai aucun sexe. Cette zone de mon corps n'existe pas, je ne la sens pas. Si mon copain me fait un câlin ou m'embrasse, je suis froid et distant.
C'est principalement au travail que ces parties s'épanouissent. Lorsque je conduits de gros engins, lorsque j'accomplis des tâches très physiques, je me sens alors tellement bien, tellement fort et puissant ! Lorsque je dois diriger une équipe, intervenir ou parler devant une assemblée... Généralement l'une de ces parties masculines vient.
Dans la secte, il y avait un système de gouvernance très hiérarchisé. Il y avait un couple à la tête de la secte. L'homme s'occupait des hommes, la femme gérait les femmes mais sous la supervision de son mari. La femme pouvait conseiller l'homme mais c'était lui qui intervenait, parlait... Les femmes assumaient certaines tâches : s'occuper des enfants, du ménage, du linge, de l'intendance, des repas, de l'entretien de la chapelle ou sa décoration. Les hommes géraient le bricolage, les réparations, la boulangerie, le jardinage, le travail à l'extérieur et étaient le chef de famille, le patriarche.
Dans la secte, on a voulu m'apprendre à coudre, tricoter... J'ai toujours détesté cela !! Mes parties dissociatives "hommes" m'ont permis de me détacher de tout cela. J'ai souvent cherché à combattre la place à laquelle on m'assignait, j'ai appris à fabriquer des briques en Afrique et je faisais tout pour le faire mieux et plus vite que les garçons par exemple. En fait c'était une façon de concilier les interdits et dictats de la secte. Une femme ou fille n'a pas le droit de faire telle ou telle chose, elle ne peut pas être forte, elle doit demander le conseil et l'aide des hommes pour les tâches physiques? Qu'à cela ne tienne, je ne suis pas une femme ou une fille ! Je suis un mec. J'ai donc le droit. Je ne transgresse aucune règle. Je ne suis pas en faute, je ne me comporte pas mal.
Martin, ma partie dissociative qui porte les souvenirs des violences extrêmes que j'ai subi est une partie masculine. Il est fort et résistant. C'est lui qui a permis que je survive aux tortures qu'on m'a fait. Lorsque la douleur physique était trop insupportable..
Une autre de mes parties dissociatives que nous appelons "la bête" est masculine elle aussi. Il est très jeune, autour de 2 ou 3 ans. Il est sauvage, ne parle pas. Il grogne. Il a dû se comporter comme un animal lors de certains viols. C'est ce qu'on lui a demandé de faire. Marcher à quatres pattes, grogner, lécher, aboyer... Il me fallait être fort. Ne pas pleurer, ne pas montrer ma terreur.
Certaines de mes parties dissociatives mecs sont là aussi car elles me permettent de reprendre un "pouvoir" sur mon corps et mon statut de victime. Si je suis un "mec", je ne suis plus la petite fille faible et sans défense qu'on viol. En étant un "homme", je peux me défendre, m'opposer, dire non. Les femmes dans la secte doivent obéissance à leur père, leur mari, le gourou, les hommes en général. Un homme a toujours raison. Pour m'autoriser à ne plus me laisser faire, ne plus laisser les autres décider pour moi je dois être un "homme". Un homme sait ce qu'il veut, il est sûr de lui. C'était encore là une façon pour moi de m'autoriser des comportements interdits sans que je ne me sente trop tiraillée et coupable de le faire.
Mais je suis une femme dans un corps de femme. J'ai encore beaucoup de mal à concilier ces différentes parties qui se voient et se sentent si différemment. Mais je commence à être beaucoup plus tolérante. Ma garde robe comporte des habits que chacune de mes parties aime, certains habits masculins, certains habits féminins. Par le passé, il m'est arrivé d'y faire du tri et de jeter tout ce qui ne me correspondait pas me demandant pourquoi j'avais ce genre de fringues et comment elles étaient arrivées là... Je ne le fais plus. Nous avons à présent conscience des besoins et goût différents qui cohabitent en moi et l'acceptons beaucoup plus. Car nous comprenons la nécessité et le rôle que chacun et chacune joue dans notre système de parties dissociatives.
Dans le TDI, on peut "se sentir..."beaucoup de choses différentes mais tout le challenge est là ! Il nous faut faire grandir nos parties dissociatives, faire accepter nos ressentis, notre vécu, nos souffrances jusqu'à nous accepter et ne plus nous voir comme un enfant maltraité mais un adulte conscient de son histoire, fort car y ayant survécu. Et nous devons parvenir à réunir en un tout cohérent et conscient notre pensée, notre identité. Accepter notre corps, l'apprivoiser, lui pardonner, en prendre soin et se sentir bien dedans...
Je pense que chaque être humain a une part d'enfant en lui, d'adolescent en lui, une part féminine en lui et une part masculine également... Et nous devons tous faire un travail intérieur pour nous accepter tel que nous sommes, accepter notre histoires, reconnaître nos forces mais aussi nos faiblesses... C'est le chemin de toute une vie... C'est pour cela que je n'aime pas lorsqu'on met les gens dans des boites, des stéréotypes. Personne n'est une seule chose. L'être humain est tellement riche, complexe, pluriel !
Réfléchir sur soi, se comprendre, se connaître est primordial pour tout être humain à mon sens ! Pourquoi on pense ce qu'on pense ? Pourquoi on ressent ce qu'on ressent ? Faire cet apprentissage à analyser sa pensée permet d'être un meilleur être humain selon moi et de mieux s'accepter pour trouver le chemin, l'identité qui nous convient et dans laquelle nous nous épanouissons. Et il n'y a là rien de mauvais ou de malsain.
Et lorsqu'on a un trouble dissociatif de l'identité comme moi, ce travail est nécessaire, passer de "je me sens uniquement ainsi, le reste n'est pas moi" à un "je suis global, pluriel et complexe", s'autoriser à être plusieurs choses, plusieurs façons d'être.
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