J'ai des parties dissociatives, combattantes, fortes, dont le but est de dire ce que j'ai vécu.
Depuis que j'ai quitté la secte, elles cherchent à comprendre les lois de la société, comprendre comment les choses fonctionnent et obtenir justice chacune avec des visions et objectifs différents.
Certaines sont restées bloquées dans un fonctionnement binaire, le juste et l'injuste. Tout doit être simple et clair pour elles. Elles ont beaucoup de mal à comprendre que les lois ont des exceptions, que l'être humain peut-être bon à certains moments et moins "bon" à d'autres, que les gens, les jurés peuvent ne pas condamner un criminel. Un mode de pensée très catégorique et intraitable, assez religieux aussi. Elles sont très intolérantes aux nuances et veulent que tout soit très catégorique. On est bon ou on ne l'est pas. Si on est mauvais, on doit être puni. L'injustice est inacceptable pour elles. Elles ont du mal à comprendre la nécessité de preuves en justice. Pour elles, la sincérité et la parole sont des preuves en soit et elles ne comprennent pas que les criminels puissent mentir à la barre et que les victimes ne soient pas crues sur le simple récit de leur vécu.
D'autres sont plus dans l'étude des lois et des actes en société, des faits. Elles ont compris que la justice est très rarement "juste". Elles cherchent à aider toutes mes parties à comprendre que la voie de la justice est semée d’embûches et que ce sera très éprouvant et maltraitant pour moi de l'emprunter... Elles cherchent à ce que je sois bien consciente du fait que je ne serai pas forcement crue, que le jugement ne reflétera pas la souffrance que j'ai vécu, que la société ne m'écoutera et croira sûrement pas, que la police, les journalistes, la justice seront maltraitants... Elles veulent que je décide de cette "mise en danger" en toute connaissance de cause et que mon but à témoigner soit plus "large" que celui d'obtenir justice. Que je le fasse dans le but de rendre visible les personnes TDI et qui sait peut-être aider à améliorer la protection des mineurs en faisant comprendre les conséquences gravissimes des maltraitances chroniques sur eux (ou en tout cas ouvrir une petite porte vers cela) ? Elles sont assez pessimistes, réalistes mais cherchent à ce que je sois portée par "une cause", un objectif plus "noble" que ma simple justice personnelle. Elles ont peur pour moi, elles veulent me protéger et me prévenir. Elles veulent ouvrir les yeux des autres parties réclamant la justice sur la réalité de celle-ci pour que je ne sois pas détruite si je décide de témoigner. Elles veulent transformer ma souffrance et mon histoire traumatique en quelque chose de lumineux, de positif. Clamer aux victimes de part le monde : vous n'êtes pas seules, je vous crois, je vous entends, il existe de belles personnes qui entendent et voient. Ne baissez pas les bras, l'espoir existe.
D'autres parties sont uniquement dans la recherche de "vengeance". Elles veulent hurler à la face du monde l'horreur de ce qu'elles ont vécu, la douleur immense, leur rage. Toutes les fois où on ne les a pas vues, entendues, protégées, défendues... Elles ont aussi une vision très "religieuse" de la justice. Elles espèrent les flammes de l'enfer pour nos bourreaux, une justice vengeresse à la hauteur de leurs souffrances. Elles sont dans le hurlement, les cris, la douleur. Elles ont beaucoup de mal à comprendre que leur souffrance ne soit pas une preuve en soit, que les gens refusent d'entendre et voir, que leur rage et haine ne soit pas suivie par la société et que tout le monde ne se mette pas à hurler avec elles. Pour elles, les sensations physiques, les ressentis émotionnels liés aux traumatismes sont des preuves irréfutables et elles ont beaucoup de mal à comprendre que les gens, la société ne sait pas et ne voit pas ce qu'elles vivent à l'intérieur. Tout est tellement fort, puissant, la douleur est tellement vivante qu'elles ne réalisent pas que je ne suis plus blessée, je ne saigne plus, les preuves matérielles ont disparu. Elles pensent et espèrent qu'un médecin pourra voir ce qu'elles ont vécu sur mon corps, que la justice verra leur corps meurtri, ressentira leur douleur... Pour elles, il n'y a pas de frontière, pas de séparations, ce qu'elles voient et ressentent est gravé et visible sur mon corps et les gens doivent forcément ressentir et voir la même chose qu'elles.
Certaines veulent dire, le plus vite possible et tout mettre ainsi derrière nous avec cette croyance étrange qu'une fois que les "péchés" seront dit, avoués, je serais enfin délivrée, libérée et que leur vie pourra reprendre son cours comme si rien ne s'était passé. Comme si dire ferait disparaître toutes les autres parties dissociatives avec lesquelles elles doivent cohabiter. Elles aussi ont une vision de la justice assez religieuse. C'est un peu comme si dire à la police reviendrait à se confesser et se laver de toutes ces souffrances et en ressortir blanche comme neige, pure et propre à nouveau...
Nous travaillons énormément, jour après jour à confronter toutes ces croyances à la réalité de la vie et de la société mais c'est un travail de longue haleine !
A présent, j'arrive mieux à calmer et tempérer mes réactions et je suis moins bouleversée sur le long terme par tout ce que je vois d'injuste dans mon quotidien. Je commence à mieux percevoir quand tel ou tel groupe de parties est présent et je lutte moins intérieurement pour savoir quel groupe de parties a raison et quelle réaction je dois avoir.
J'arrive à mieux sélectionner les luttes et les informations pour lesquelles je souhaite m'impliquer. J'arrive beaucoup plus à écouter les différents points de vues, prendre le temps d'y réfléchir sans avoir une réaction trop instinctive puis décider en groupe de ce que je souhaite avoir comme réaction.
Mes parties contrôles doivent encore beaucoup intervenir pour tempérer les réactions de certains de ces groupes. Lors des partages de vécus traumatiques, toutes ces parties sont exclues (excepté celles qui sont réalistes et ancrées dans la réalité de ce que peut apporter la justice). Si elles étaient présentes, elles iraient immédiatement au commissariat pour raconter tout ce qui a été partagé sans prendre en compte les peurs internes, les conflits de loyauté, le fait qu'il nous manque encore des pièces du puzzle... Elles oublient l'amnésie traumatique et le fait que j'ai énormément de parties dissociatives ce qui rend donc mon témoignage pour le moment encore très morcelé et chaotique... Témoigner ne pourra se faire que le jour où toutes mes parties auront décidé de collaborer et c'est encore loin d'être le cas !
Nous victimes, devons accepter que notre mémoire dissociative, traumatique est un vécu interne et que même si ce vécu fait partie de notre quotidien, nous submerge parfois, les gens ne pourront jamais le comprendre et le ressentir à l'identique de nous. Notre souffrance ne sera jamais reconnue à la hauteur de ce qu'elle est. Les conséquences pour nos bourreaux seront injustes, minimes au regard de ce que nous avons vécu.
Les jurés lors d'un procès vont décider d'un verdict en fonction de ce que la loi appelle "l'intime conviction". Ce n'est pas une impression mais un raisonnement à partir des preuves apportées et décortiquées à l'audience. Il y a donc une forme de détachement émotionnel à avoir. Et c'est ce qui est le plus difficile à accepter pour nous victimes qui sommes dans "l'hyper émotion et ressentis" d'autant plus quand il y a eu amnésie dissociative puisque en terme de temporalité tout se mélange lorsque les souvenirs reviennent, passé et présent s’entremêlent et ne font plus qu'un.
Les grandes catégories de preuves sont :
- les récits des victimes
- les témoignages
- les aveux
- les indices
Sur les dossiers de viols, la justice s'appuie sur les faisceaux de preuves suivants :
- les récits réitérés et constants de la victime (aux enquêteurs, à la famille, au psy, au juge d'instruction)
- l'expertise psy qui atteste de la fiabilité de son discours
- les expertises montrant les répercussions des faits sur sa vie et qui renforcent la crédibilité de ce qu'elle dit
- les témoignages (récits identiques, déclarations ambiguës du mis en cause, autres victimes éventuelles...)
- l'ADN du sperme si il y en a
- les aveux au moins partiels si le mis en cause en fait, les écrits (lettres, sms...) qui suggèrent que...
- les expertises psy du mis en cause montrant ses déviances, ses bizarreries...
- les photos des lieux corroborant les récits...
Lorsque l'on a un TDI, avoir recourt à la justice ne peut pas se faire du jour au lendemain !
Tout d'abord parce que le principe même du TDI est de cloisonner, morceler la personnalité dans le but de survivre, à l'époque des traumatismes c'était la seule et unique solution pour ne pas mourir. Il faut donc un énorme travail psychologique en amont pour réussir à modifier ce mode de survie et de sauvegarde qui est devenu instinctif et automatique jusqu'à ce que nous soyons capable de dire : voilà tout ce que j'ai vécu, voilà ce que j'ai ressenti, voilà ce qu'on m'a fait... Et c'est d'autan plus difficile quand le récit d'un événement est partagé entre plusieurs parties dissociatives. Certaines ayant gardé la mémoire des lieux, d'autres les ressentis physiques, d'autres les paroles de l'agresseur, d'autres les goûts ou les sons... Et si il n'y a pas une pleine coopération des parties comment réussir à dater avec précision un viol alors que 10, 20, 100 autres ont eu lieu ensuite dans des circonstances similaires lorsque l'on a été violé et violenté pendant 18 ans ? Qui accepterait de se souvenir de manière volontaire des pires moments de sa vie, des moments où il s'est cru mourir ?
Personne ne peut du jour au lendemain changer intégralement sa pensée et son mode de fonctionnement. On ne peut pas être "quelqu'un d'autre" juste en le décidant... Cela se fait petit à petit, en confrontant nos croyances, en expérimentant, en réfléchissant à qui nous voulons être, qui nous sommes et ce que nous voulons vivre dans le futur et en expérimentant la sécurité du quotidien... Et ceux seront les expériences positives, les "signes" extérieurs nous montrant que ce choix est "bénéfique" pour nous qui nous conforterons dans notre décision et feront que nous persisterons dans cette voie. Ce sera le fait que d'autres personnes soient capable d'entendre nos récits qui fera que nous nous les approprierons comme des vécus personnels, et que ces souvenirs deviendront nos souvenirs, que nous ne ressentirons plus le besoin de les fuir et nous en protéger, les voir comme étranger à nous...
Une personne TDI a besoin d'expérimenter que des gens sont prêt à l'écouter, la croire, la soutenir, la défendre, l'aider, la protéger... avant de réussir à modifier son comportement de cloisonnement. Elle doit restaurer sa confiance en l'être humain, restaurer son estime de soi, sa vision d'elle même, sa compréhension de ce qu'elle a vécu, identifier les mensonges que ses violeurs lui ont dit, comprendre ses droits et les violations de la loi qui ont été faites sur elle... Elle doit réapprendre comme un tout petit enfant à identifier ses ressentis, s'autoriser à les exprimer et les ressentir comme faisant partie d'elle-même. Elle doit analyser et décortiquer les mécanismes mis en oeuvre pour la chosifier, la rendre esclave. Accepter de faire le deuil de son rêve de parent idéal, de sauveur... Modifier ses modes de relations humaines, sa vision des relations sexuelles, de l'amour, de l'amitié, sa relation à la solitude et l'abandon... et séparer la réalité de ce que sont ces relations et émotions de ce qu'elle a vécu et des mensonges qu'on lui a inculqué à coup de tortures et menaces de mort.
Tout cela prend beaucoup de temps et demande une force et un courage immense !
Et pour la justice, plus le temps passe, plus les preuves matérielles s'amenuisent...
Nous avons besoin que plus de gens comprennent ce qu'est le TDI, comment repérer les signes pour nous identifier, comment nous aider et nous mettre en confiance pour que nous puissions nous ouvrir à eux, comment dialoguer avec nous...
Nous avons besoin de trouver des personnes de confiance avec qui chacune de nos parties dissociatives puissent parler, questionner et confronter leurs croyances à la réalité de notre ici et maintenant car c'est ce qui nous permettra d'avancer le plus rapidement vers la coopération et la compréhension mutuelle !
Et cela est d'autan plus vrai concernant la justice !
Je voudrais trouver des personnes aidantes, professionnelles de la justice, des lois avec qui chacun de ces groupes de parties cherchant la justice puisse dialoguer pour qu'elles se rendent compte des écueils dans leur raisonnement, de la réalité à laquelle elles devront se plier et ajuster leurs espoirs de réparation.
Dans un monde idéal, je rêve de psys, de médecins, de gynécologues, de dentistes, de neurologues, de journalistes, d'avocats et de juges qui coopèrent tous dans un seul et même but faire en sorte que plus un seul enfant sur cette terre n'ait besoin de se morceler pour pouvoir continuer à être en vie...
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