L'amnésie dissociative du présent dans le Trouble Dissociatif de l'Identité (TDI), qu'est-ce que c'est ?
Je ne vais parler ici que de ce que moi je vie. Chaque TDI est différent donc je ne peux pas parler en terme de généralité, chacun de nous fait comme il peut pour survivre et a accès à des ressources différentes en fonction de son entourage et de ses rencontres.
Ce fonctionnement d'amnésie dans mon présent est assez automatique chez moi.
Dès que quelque chose est douloureux, difficile, pendant quelques jours, le souvenir est très intense dans ma mémoire. Je pourrais vous raconter la scène dans les moindres détails, redire mots pour mots les échanges... ce souvenir tourne en boucle dans ma tête, je n'arrive plus à en dormir, comme si j'étais incapable de stopper mes pensées et réflexions... L'événement est passé au crible dans ma tête, les paroles échangées, les messages non verbaux...
Que s'est il passé? Ai-je eu raison de réagir ainsi? Ai-je tord? Je tourne dans ma tête toutes les façons possible, tous les scénarios possible pour cet événement... Si j'avais fait si ou ça est-ce que cela aurait donné la même chose?
Puis, il se passe quelque chose et je pense que c'est cela qui déclenche ces événements d'amnésies dans mon présent par la suite.
Mes parties dissociatives se mettent chacune à commenter et argumenter l'événement.
Des petites qui pleurent et déprimes parce que elles pensent qu'on les a abandonné, disent que je ne peux pas être aimée, que personne ne m'aime ou m'aimera, personne ne me protégera...
Des colères qui me reprochent ce lien qui s'est cassé et disent qu'on a besoin de personne pour survivre et blâment mes parties dissociatives en demande de liens affectifs.
Des lâches qui me reproche d'avoir trop demandé, trop parlé ou de ne pas avoir assez donné, montré mon affection, remercié....
Des sexualisées qui disent que si on les avait laissées faire, elles auraient pu donner le corps et si on donne le corps les gens nous aiment, nous respectent et nous paient. Que grâce à cela on est en sécurité.
Des intellos qui disent que si j'avais été moins bébés, moins en demande, moins... et qu'on les avait laissée gérer, la personne en face n'aurait pu que rester en lien.
Des religieuses et culcul qui disent que en priant les choses se calmeront, que cette personne ne veut pas, ne peut pas et qui expliquent son point de vue, les raisons tout à fait louable de la décision. Et tout le monde a raison selon elles, tout le monde a fait de son mieux, le monde est rempli d'amour et de paix...
Des colères qui explosent et hurlent... Comment a-t-elle osé ? Je souffre, je n'ai pas assez souffert! Et qui en veulent à la terre entière et au final en veulent à mes parties en demande et recherche de liens et les blâment.
Des dépressives qui voient le monde comme désespérément égoïste, aveugle et noir... Aucun espoir n'existe. Seul la mort nous délivrera de cette souffrance atroce.
Un conflit interne explose en moi. Toutes ces parties se succèdent les unes après les autres dans une ronde infernale.
Cela devient tellement envahissant ! J'entends des hurlements, des pleurs dans ma tête. Je ressens des douleurs dans tout mon corps. Je fais le yoyo dans mes émotions.
Mon équilibre dans mon présent est menacé.
Donc je pense que c'est une des raisons pour laquelle j'ai des amnésies dans le présent.
Car les émotions que je ressens, les conflits entre mes parties sont trop intenses ! C'est trop éprouvant pour mon corps, mon cerveau, mon coeur... Tout ressentir en même temps est trop éprouvant. J'ai le corps en feu. C'est vraiment l'impression que j'ai. D'être transpercée, à vif, la peau, l'âme en feu.
Plus je suis épuisée et fatiguée, moins je dors, moins j'arrive à me concentrer, à écouter les autres, à comprendre quand on me parle (me rendre compte que c'est à moi qu'on parle mais aussi entendre et comprendre ce qu'on me dit).
Plus j'ai de mal à me concentrer sur une tâche et à la faire.
Donc au départ, il y a ces conflits et toutes ces parties qui se réactivent et revivent et me font revivre leurs souffrances. Comme tout explose et que c'est insupportable, je me mets, d'une part à oublier et fuir les pensées liées au conflit qui a généré cette situation. Je mets en place des stratégies d'hyperactivation pour être toujours occupée, avec des bruits extérieurs (musique, films...) très forts qui vont empêcher que je puisse réfléchir à la situation et l'analyser. Car mes parties dissociatives n'arrivent pas à se mettre d'accord sur ce que l'on doit penser de l'événement et ce qu'on doit faire. Mais aussi sur ce qu'on doit en penser, comment l'enregistrer en mémoire : est-ce douloureux ? Est-ce libérateur? Est-ce une réussite ou un échec ? Est-ce positif ou négatif ? Et nous ne sommes pas d'accord sur ce que nous ressentons : nous sommes triste, neutre, indifférentes, en colère, pessimiste, alarmiste, reconnaissante, en danger...? On ne peut pas le ranger, l'analyser et cela génère trop de conflit et de bouleversement.
Donc on le zappe. Switch : aux oubliettes.
Puis, je me mets à reswitcher en "parties scindées" comme je le faisais par le passé. Des "murs d'amnésies" se remettent en place et mon "temps dans le présent" n'est plus partagé et commun.
Je n'arrive plus à me contrôler, à contrôler quelle partie dissociative est là et "prend" le contrôle du corps pour faire ce que je dois faire dans mon présent.
Pour pouvoir être en sécurité, pour pouvoir continuer à avancer, vivre mon quotidien, j'oublie. J'oublie non seulement l'événement qui a généré ce conflit mais j'ai aussi des amnésies de mon présent et de mes actions car mes parties dissociatives au lieu de partager mon présent se battent pour agir et faire ce que chacune souhaite et croit être la meilleure façon pour moi d'être en sécurité.
Cela met un terme pour un temps aux conflits internes. Mais c'est une stratégie coûteuse. Car ce n'est pas pour autant que mes pensées et mes conflits se résolvent ! Bien au contraire!
Mes parties dissociatives s'en veulent un peu plus mutuellement, se reprochent leurs souffrances, leurs solitudes, le poids et la douleur engendré par les souvenirs et émotions liées à ce qu'elles portent... Et mon quotidien est malgré tout rythmé par les pensées liées à cela qui reviennent par petites piqures de rappel.
Selon la partie présente, avec le "contrôle exécutif" du corps, je "perds" mes compétences.
Je peux ne plus me souvenir pendant une fraction de seconde comment conduire, je ne reconnais plus les pédales, je suis envahie par une bouffée d'angoisse (cela ne dure jamais longtemps). Je peux ne plus savoir compter, écrire, conjuguer, parler anglais... Je peux oublier comment je m'appelle, mon adresse, mon âge...
Cela est dû au fait que selon la partie dissociative présente, je n'ai pas les mêmes compétences ou savoirs, pas la même mémoire... Généralement ces pertes de compétences et connaissances sont assez courtes et sont le fait d'une situation particulièrement stressante qui a fait qu'une de mes parties petites viennent au devant. Généralement je suis perdue, en panique pendant quelques secondes.
Je peux aussi avoir des moments de blackout ou un peu obsessionnel lorsqu'une partie perdue dans le trauma qu'elle a vécu dans le passé vient "devant".
Dans ce cas, je vais être un peu comme droguée. Ma vision semble s'être rétrécie. C'est comme si je vois le monde à travers des œillères. Les contours de ma vision sont comme troubles et rétrécis. Je ne vois plus et perçois plus le monde, la réalité de mon présent avec une vision entière et objective. J'ai des opinions très arrêtées sur certains sujets, je suis incapable de discuter posément avec ma sœur par exemple...
J'ai beaucoup de moments où je me retrouve "parachutée" dans des situations. Sans rien y comprendre. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé avant, parfois je ne reconnais pas la personne en face de moi ou je ne sais pas de qui elle parle, ou de quoi elle parle... Par exemple quand je perds mes compétences en maths, pendant les premières secondes, je suis en panique. Je ne sais pas, je ne sais pas ! Puis des pensées fusent à toutes vitesses. Je trouve des stratégies pour pallier à cette perte de compétences. Je cherche sur mon téléphone ma calculatrice, je compte sur mes doigts, je parle pour détourner la conversation jusqu'à ce que j'ai la réponse en ayant compté sur mes doigts dans mon dos... J'ai toujours les premières minutes des interrogations. J'ai perdu mes compétences ? Pourquoi ? Puis j'oublie que j'ai oublié. J'oublie toutes ces situations qui ont jalonné ma vie avec ces amnésies. Il ne faut pas se poser de questions ! Surtout pas !
Les amnésies vont et viennent en fonction de la sécurité de mon présent, des rencontres que je fais et de ce que je vie au quotidien.
L'amnésie dissociative que je vie dans mon présent peut se stopper quand je suis en sécurité, éloignée de mes agresseurs et dans une situation stable et quand mes conflits internes se résolvent, que nous arrivons à nous mettre d'accord et à nous pardonner nos actions, nos prises de décisions... Mes amnésies dissociatives dans le présent se sont stoppées par le passé au fur et à mesure que ma situation personnelle s'était améliorée. Des personnes de confiance avec qui j'avais pu faire de nouveaux apprentissages de liens sains et solides. Avoir un travail, un appartement, une sécurité financière. Pouvoir partager du temps dans mon présent avec plusieurs parties en même temps et vivre des expériences positives qui permettaient à chaque partie de se rendre compte que tout ne finissait pas en catastrophe, en souffrance, en abandon systématiquement...
Il faut actuellement que je trouve un moyen de renouer le dialogue interne entre mes parties et retrouver une cohérence, des prises de décisions communes, des accords sur ce que nous devons et voulons faire dans notre présent... Et trouver un moyen d'apaiser toute cette souffrance liée au sentiment de trahison et d'abandon que nous ressentons...
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