J'ai eu des périodes sans amnésie, avec amnésie partielle et avec amnésie totale tout au long de ma vie.
J'ai un trouble dissociatif de l'identité. J'ai très souvent des épisodes d'amnésie de ce que j'ai subi pendant mon enfance et j'ai encore des moments dans mon présent où j'ai des amnésies de mon présent.
Je suis persuadée que la mise en place de l'amnésie dans mon cerveau se fait pour une très bonne raison et est une réaction à l'entourage proche, l'environnement dont je bénéficie.
L'amnésie doit être vue non pas comme un empêchement à révéler, une entrave, une pathologie... mais comme un moyen de survie, un mécanisme positif et sain à un environnement inadéquat.
Je vous donne un petit exemple concret :
Après avoir fuit la secte, j'ai entamé des démarches de divorce. Je subissais à l'époque énormément de pressions et de harcèlements de la part de la secte et de mon ex mari pour que je revienne dans la secte. Les différentes avocates que j'ai eu m'ont mise en garde, elles me conseillaient de ne pas parler des violences que j'avais subi pendant mon mariage et de ne jamais dénigrer mon ex mari. Je m'en suis donc tenue aux faits extérieurs à moi, il venait d'une secte comme moi, il était toujours en lien et il était proche d'une autre secte et y emmenait mes filles. La justice n'a rien voulu entendre de cela. Et nous sommes en garde alternée à présent sur décision de justice. 3 fois je me suis rendue au commissariat pour porter plainte, les 3 fois on m'a dit soit de revenir plusieurs semaines plus tard car la personne en charge de cela était absente, soit on m'a dit que les mains courantes n'existaient plus soit on m'a dit que je n'étais pas au bon endroit et on ne m'a pas ouvert. Je devais donc "cohabiter" avec mon ex mari. L'homme qui m'avait violé alors que j'étais encore mineure, à qui la secte m'a marié et qui m'a violé (viol conjugale) durant tout notre mariage. Un homme qui me faisait subir des violences financières, psychologiques constamment. Je devais faire avec. Mes filles à l'époque pleuraient beaucoup dès que je les récupéraient après un Week end chez lui, me disaient qu'il leur manquait... Je devais écouter leur souffrance, les consoler, trouver les mots sans parler de ma propre souffrance et ma propre colère... Je devais me couper d'une part de mes ressentis pour être à même de supporter les moments où elles me disait qu'elles l'aimaient et qu'il leur manquait... Je devais parler de lui en termes neutres. Elles étaient tiraillées dans un conflit de loyauté très difficile. Je devais faire en sorte qu'elles souffrent moins et s'épanouissent malgré tout, malgré ce divorce... J'ai donc "oublié", mis de côté tout ce que j'avais vécu avec lui. J'avais alors une amnésie totale de ce que j'avais vécu lors de mon mariage. C'était nécessaire car si non c'était trop douloureux pour moi !!! Entendre mes filles dire qu'elles aimaient ce monstre qui m'avait tant fait de mal... Supporter leurs séjours avec lui ou savoir qu'il les emmenait dans les sectes était insupportable ! J'étais envahie par la haine, la colère, le désespoir, le sentiment d'injustice, de solitude... Personne n'avait voulu m'entendre ! Je me suis "assurée" néanmoins que mes filles allaient "bien". Elles ont été suivie par deux psychologues qui m'ont assurées qu'elles allaient bien, qu'elles ne subissaient pas de violences et que leur père était un "suffisamment bon père". Que pouvais-je faire d'autre ?
Que répondre à des professionnels qui disent qu'un homme qui a été violent avec sa femme est "suffisamment bon père"? Que faire si la justice considère qu'emmener des enfants dans une secte n'est pas signe de mise en danger ?
Alors on oublie, on continue à avancer en faisant du mieux qu'on peut !
Et on fait en sorte d'éduquer nos filles à repérer les mauvais comportements, à parler et demander de l'aide si on a un problème, à se questionner et réfléchir, à s'écouter et se faire confiance...
J'avais donc une amnésie totale de la période où j'ai vécu avec lui, des mauvais moments mais aussi des "bons moments". Je ne me souvenais pas de la naissance de mes filles où très vaguement, lorsque je regardais des photos d'elles bébés, j'étais incapable de dire laquelle était dessus, j'avais du mal à dater et situer les endroits où nous avions vécus... J'étais incapable de raconter des anecdotes à mes filles sur leur enfance car j'avais tout "oublié". Et pourtant c'était mon passé proche, récent... C'était une protection pour moi, un moyen de faire face à mon rôle de mère pour elles, de pouvoir écouter et compatir à tout ce qu'elles exprimaient, un moyen de pouvoir rester en lien avec mon ex mari pour l'informer des démarches concernant nos filles, faire l'échange de façon apaisée entre nous lorsque je les lui laissait lors des week end et des vacances scolaires puis lorsque nous sommes passés en garde alternée...
A présent, elles sont plus grandes. J'ai moins peur que leur garde me soit retirée, elles auraient leur mot à dire face à la décision d'un juge. Elles ont passé beaucoup de temps avec moi, ont appris, se sont construites, sont fortes et ont de bons réflexes à exprimer leur mal être et leur souffrance. Elles savent les "bases". J'ai donc eu moins besoin de me protéger ces derniers temps et les souvenirs des violences subies me sont "redevenues accessibles".
Ce que je veux expliquer par cet exemple c'est que l'amnésie que peuvent vivre les victimes de viols ou de violences extrêmes est un mécanisme normal et sain. Une réaction à "l'ici et maintenant".
Dans le trouble dissociatif de l'identité, le mécanisme d'amnésie est vraiment lié à cela ! Je le vois dans mon quotidien. Dès que mon quotidien, mon "ici et maintenant" est sécurisant, que je suis entourée de personnes aidantes et soutenantes (qu'elles soient des proches ou des professionnels), mon amnésie se résorbe.
Dès que je me sens en danger, que des "amis" ou des professionnels nient ou me refusent le droit d'exprimer ce que j'ai vécu, mon amnésie, mes barrières dissociatives peuvent se remettre en place, et je ne "sais plus", je n'ai plus les détails, je ne peux plus expliquer, dire...
Je trouve cette réaction très logique ! Si personne ne veut vous entendre, continuer à dire vous expose à plus de souffrance, plus de violence, plus de difficulté à gérer et faire face... Et c'est un risque que des parties dissociatives soient submergées par la colère ou la douleur, le désespoir et cela pourrait amener à se mettre en danger, des tentatives de suicides... On est donc "obligé" d'une certaine façon de fonctionner ainsi... Et c'est aussi pour cette raison que la phrase que beaucoup de gens disent "pourquoi n'as tu pas parlé avant? Pourquoi n'as tu rien dit ?" est atrocement violente pour les victimes !!!! Ce n'est pas nous qui n'avons rien "voulu dire" !!! C'est notre environnement proche qui ne nous a pas laissé le droit de dire et nous a forcé à oublier pour pouvoir survivre.
Je pense qu'il y a plusieurs explications à l'amnésie dans la dissociation. Il y a bien sûr l'amnésie dissociative des différentes parties dissociatives que j'ai. Dans mon enfance, beaucoup de mes parties dissociatives étaient amnésiques des violences et viols que je subissais. C'était une question de survie. Chacune de mes parties dissociatives avait ses propres souvenirs, son propre vécu, sa propre histoire à raconter. Par exemple, ma partie dissociative "confession" vivait uniquement les moments d'échanges en paroles avec le gourou, ses interrogatoires, ensuite, lorsqu'il me violait, une autre partie dissociative venait et supportait, survivait à ces moments. Ma partie "confession" voyait le gourou comme un père à l'écoute, bienveillant, tendre et aimant. Elle n'avait aucune conscience de sa face sombre et violente. Elle était amnésique puisqu'elle n'avait pas vécu les viols. A présent, depuis plusieurs années, nous partageons les vécus et les souvenirs. Chacune de mes parties dissociatives "sait" à présent la globalité de ce que nous avons vécu (pas forcément les détails mais elles savent qui nous a violé). Ces barrières et cette répartition des rôles étaient vitaux pour moi car dans la secte dans laquelle j'ai vécu, je n'avais aucune possibilité d'aide et d'échappatoire. Il fallait donc que je ne "sache pas" à certains moments et que d'autres parties de moi supportent et survivent à d'autres quand cela était nécessaire.
Des mécanismes comme les flashbacks me permettaient de renouer régulièrement avec mon histoire, des parties dissociatives testaient et tentaient d'alerter mon entourage régulièrement. Une façon pour moi d'essayer encore et encore dans l'espoir d'être enfin protégée. Puis comme mes tentatives échouaient, l'amnésie et les barrières dissociatives se remettaient en place.
Là encore, c'est la nécessité qui a fait que ces barrières dissociatives et donc des barrières amnésiques se mettent en place.
Néanmoins, à présent adulte, ayant fuit la secte, je perçois que mon amnésie est un peu différente. Avant c'était de l'ordre de la répartition des rôles et des actions avec un véritable cloisonnement dans mon esprit. Maintenant, lorsque j'ai des amnésies c'est plus de l'ordre de "occulter des informations", faire comme si elles n'existaient pas. Nous sommes à présent conscientes dans notre globalité de ce que nous avons vécu et ce à quoi nous avons dû survivre. Je ne peux donc pas dire que je suis amnésique des faits. Mais j'ai beaucoup de moments dans mon présent où un voile se remet sur mes souvenirs et ma capacité à les décrire, en parler.
Je le vois nettement avec le coronavirus. Ce sentiment de "danger" omniprésent joue beaucoup sur mon sentiment de sécurité dans mon présent et ma capacité à faire face à mon histoire. Si dans mon présent, je dois gérer des décisions difficiles, mon histoire "disparaîtra" de mon esprit afin que je puisse faire face à "l'urgence" de l'ici et maintenant. Intégrer mon histoire n'est plus la priorité, elle devient donc à nouveau floue pour que je puisse agir de façon adéquate dans mon présent. Comme si mon esprit "mettait de côté" certaines choses pour me libérer de l'espace pour pouvoir réfléchir à autre chose.
J'ai écrit il y a quelques semaines mon témoignage pour le procureur dans le cadre de ma plainte pour viols. Mon amnésie s'est levée et j'ai pu dater, situer en partie et décrire les faits. Ces jours ci, la "menace" de la 5ème vague pour le coronavirus, la peur de me retrouver dans des conditions financières et matérielles difficiles font que tout est à nouveau floue dans mon esprit. Par le passé, j'ai déjà vécu en caravane, souffrant du froid et de la faim avec mes filles juste après avoir fuit la secte. Je suis terrorisée à l'idée de me retrouver à nouveau dans une situation similaire. Mon environnement de l'ici et maintenant fait que "partager mon histoire" entre parties dissociatives est devenu "dangereux". Je ne peux pas faire face à toutes les menaces, ressentir toutes les inquiétudes et les peurs, revivre et intégrer mon vécu de violences et de menaces alors que mon présent n'est pas sécurisant... Alors tout devient floue et c'est comme si mon cerveau de lui-même mettait à nouveau des barrières, des protections pour que je puisse retrouver du calme et de la sécurité avant de poursuivre notre travail d'assimilation de mon vécu.
C'est très très frustrant !!!! D'autant plus que le propranolol que je prends m'a vraiment énormément aidé à avancer !!
Mes filles ont besoin de moi en ce moment, mon copain a besoin de moi en ce moment. Je dois faire en sorte de rester en sécurité, avoir un travail, garder mon appartement, gérer mon rôle de maman. Mon "ici et maintenant" est primordial. Mon avancée et mon travail interne passent donc au second plan.
Mais qu'est-ce que c'est frustrant !!!! Devoir mettre en pause notre partage, nos réflexions, nos avancées, nos prises de consciences... parce que des choses externes, indépendantes de notre volonté font que là n'est plus la priorité...
Ma priorité de ces jours-ci est mes filles, répondre à leur besoin, faire en sorte qu'elles soient bien. Faire en sorte que ma "vie de maman, d'adulte" reste stable. Le reste est mis de côté en attendant de retrouver de la sécurité. Mon besoin de me mettre en mi temps thérapeutique est devenu secondaire cette semaine. J'ai pu travailler et assumer mon travail sans difficulté. Mon système de parties a fait en sorte puisque pour l'instant la priorité n'est pas ma guérison psychique pour que je puisse continuer à fonctionner "normalement" et assumer mes obligations et mes charges, fonctions d'adulte.
C'est frustrant car c'est l'environnement dans lequel j'évolue qui fait que je doive faire un "choix" entre mon soin psychique et mon présent. Il me serait plus facile si le système de soin français me le permettait de "guérir" rapidement. Si lorsque mes filles traversent des difficultés je pouvais avoir de l'aide pour me seconder sans être jugée ou dénigrée en tant que mère, je pourrais continuer à être une "suffisamment bonne mère" tout en continuant à avancer dans ma reconstruction psychique. Mais actuellement, ma mère n'est pas disponible donc ne peut pas venir me seconder. Je dois donc gérer mes puces seule et me débrouiller.
Mon copain ne peut pas m'aider actuellement, il est focalisé sur sa société et doit la gérer. Il a besoin que je sois opérationnelle au travail actuellement et la priorité immédiate n'est plus de m'aider en acceptant que mes parties dissociatives ne se cachent plus, pour qu'elles puissent évoluer dans mon présent et voir petit à petit tout ce qui est différent dans mon ici et maintenant et qu'elles changent ainsi leurs manières d'agir et de penser. Je dois donc à nouveau fonctionner au travail en ne laissant venir que mes parties dissociatives adultes et "travail". Si la situation actuelle n'était pas si compliquée, mon copain ne s'inquiéterait pas pour l'avenir de son entreprise et nous pourrions continuer à fonctionner comme nous le faisions.
Ce qui m'aide et m'a toujours le plus aidé est de pouvoir ne pas me cacher. Ne pas avoir à camoufler mon trouble dissociatif de l'identité. Pouvoir en parler ouvertement. Et aujourd'hui, c'est mon environnement qui m'oblige à fonctionner à nouveau de manière "dissociée". Revenir à un mode de fonctionnement "maman" ou "adulte, travail" sans pouvoir être moi dans mon intégralité et entièreté.
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