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Photo du rédacteurLeelah

25/10/2021 Parler...

Dans la "communauté nouvelle catholique" dans laquelle j'ai grandis, il y avait beaucoup d'interdit. Elle a été reconnue à dérives sectaires depuis.

L'une de ces règles était le silence, l'interdit de discuter, d'échanger et de se questionner.

Il y avait des règles imposées comme l'interdit de se rendre dans la chambre d'un autre membre pour y discuter. Si c'était fait, la délation était encouragée. Les membres qui en étaient témoins devaient le dénoncer aux responsables. Le confesseur était choisi par la secte. Donc même dans la confession, nous n'étions pas libre et surveillé. C'était un ou des prêtres sympathisants du gourou qui faisaient en sorte de remettre nos questionnements dans le droit chemin. Et je me demande même si certaines choses dites n'étaient pas rapportées au gourou.

Et il y avait ce qui se faisait aussi pour empêcher tout lien. Chaque membre était régulièrement muté dès que des amitiés ou des rapprochements se faisaient. A chaque fois que je me faisais une amie et en devenais trop proche, elle ou moi devions déménager...

Le seul endroit où nous avions le droit de discuter était lors des "confessions" avec le gourou ou sa femme. Les entretiens semblaient tout d'abord bienveillants et ouverts. Et si nous avions le malheur de critiquer ou remettre en cause là, la foudre s'abattait sur nous... Le gourou nous faisait un "lavage de cerveau" culpabilisant. Expliquant que remettre en question les règles, notre mode de vie étaient oeuvre du malin. Puis un travail de sape pour nous briser, briser notre résistance était fait au quotidien par tous les membres. Il était courant que si un membre critique, il soit mis au ban, rétrogradé dans ses fonctions, envoyé à l'étranger, ou si il résistait trop renvoyé de la secte.

J'ai vu des anciens membres devoir partir du jour au lendemain, sans rien. Leurs photos étaient retirées des albums, leur existence dans notre histoire effacée comme si ils n'avaient pas existé. Si on les croisait dans la rue, on devait changer de trottoir. Ils devenaient transparents. Ils n'avaient jamais existé.

Lors des entretiens avec le gourou que j'ai eu durant toute mon enfance, il voulait tout savoir de moi, mes rêves, mes pensées... Tout. Imaginez une enfant qui grandit avec ce modèle... Comprenez vous comme cela puisse être destructeur ? Pas de "jardin secret", pas d'intimité... Et de plus, lors de ces confessions j'étais violée...

Mon cerveau a trouvé un moyen de se protéger. J'ai un trouble de stress post-traumatique complexe et un trouble dissociatif de l'identité. J'ai des parties dissociatives. Mon cerveau, ma vie, ma mémoire de ce que je vivais c'est cloisonné pour que je puisse survivre dans cet environnement plus que destructeur.

J'ai donc une partie "confession" qui avait pour rôle de répondre aux questions inquisitrices du gourou. Cette partie dissociative l'aimait profondément comme un père. C'était une partie qui assumait la fonction dans ma vie de montrer au gourou que j'étais docile, obéissante et que je ne lui cachais rien. Pour qu'ainsi il croit qu'il me contrôlait. Cette partie a une mémoire complètement cloisonnée avec mes autres parties dissociatives. Elle ne savait rien de mes moments de rébellion, des viols que je subissais après ces entretiens avec le gourou, de mes essais de parler et demander de l'aide, de mon regard critique sur les règles de la secte... Elle était très inconsciente, naïve...

Cette partie a été essentielle dans ma survie ! Grâce à elle, grâce à ce cloisonnement, elle ne savait rien, n'était au courant de rien... Donc ne pouvait rien dire !!!! J'ai ainsi été en capacité de développer mon esprit critique, mon observation objective pour parvenir bien plus tard, à l'âge adulte à fuir la secte...

A chaque fois que j'ai essayé de parler et dire les viols, et que malheureusement on me dénonçait ou mon plan de fuite échouait, c'était elle qui était interrogée. Elle ne comprenait rien, ne savait rien, pleurait et jurait au gourou qu'elle n'avait rien fait de mal. C'était très dure pour elle. Car beaucoup de choses étaient incompréhensibles... Par exemple, lorsqu'après avoir parlé à mon père vers l'âge de 9, 10 ans elle s'est retrouvée devant le gourou et mon père en "interrogatoire" elle n'a rien compris à ce dont on l'accusait... Lorsqu'ensuite on l'a amenée dans la chapelle pour une séance de "repos dans l'esprit", elle hurlait, pleurait, jurait qu'elle n'avait rien fait de mal...

C'était très difficile. Ce cloisonnement dans ma vie. Des parties pour aller à l'école et vivre ma vie de petite fille, des parties pour vivre la vie de la secte et montrer qu'on a intégré les règles et qu'on y obéi... Pour ne surtout pas être repérée ou dénoncée et ainsi ne pas être en danger ni mettre en danger ma famille (le gourou les a menacé à plusieurs reprises. Il pouvait me retirer à eux et les envoyer n'importe où... Dans un pays en guerre... C'est ce qu'il me disait). Des parties pour survivre aux viols et violences... Celles qui font ce qu'on leur demande, celles qui ne bouge pas et attendent que ce soit fini, celles qui se battent et tentent de s'opposer, celles qui supportent la violence insoutenable...

Chacune avait son rôle, sa fonction, sa tâche... Je trouve cela d'une logique incroyable !!! Personne ne peut être à la fois docile et rebelle, croyante et critique sur ce qu'on lui dit... On peut faire semblant mais quand en face on a à faire à un manipulateur qui sait lire les émotions, qui maîtrise parfaitement l'emprise mentale sur des adultes (imaginez comme cela peut être difficile pour une enfant qui n'a connu que cela comme modèle...) Faire semblant est impossible ! On se fait prendre ou quelqu'un de la secte nous dénonce... Donc il fallait aller plus loin... D'où mon cloisonnement en parties dissociatives avec des amnésies et une non conscience de mes autres pensées, actions, vécus....

A l'époque cela m'a sauvée.

Mais a présent que j'ai quitté la secte ce fonctionnement est très compliqué pour moi!

Cela a été compliqué lorsque cette partie dissociative a pris conscience de ce que j'avais vécu. Le sentiment de culpabilité, d'avoir ressenti de l'amour pour ce "père" de substitution, d'avoir été d'une certaine façon "complice" de la souffrance qu'il infligeait aux autres parties, de m'etre attaché à lui... Et d'éprouver beaucoup de honte aussi... Et de devoir faire face à mes reproches internes, ma colère, celle de toutes les autres parties qui elles vivaient les sévisses... ma rage d'avoir pu éprouver de l'amour et de l'affection envers mes violeurs, de l'attachement...

J'ai mis beaucoup de temps à réconcilier intérieurement mes différents vécus, mes différentes façons d'agir.

J'ai encore des moments où cette partie nie les violences parce que c'est trop douloureux pour elle. C'est faux. Tout cela est faux. Comment cela aurait il été possible ? Comment des gens, ma famille, les adultes auraient ils pu ne pas me protéger ? Comment un homme, qui était adulé, admiré, encensé aurait il pu me faire cela? Il disait m'aimer. Il disait que j'étais sa fille adoptive, sa fille de coeur. Comment aurait il pu faire cela tout en disant m'aimer ? Un homme de foi qui croit en dieu peut il faire ces actes abjectes? Tout cela est parfois trop douloureux, trop incompréhensible. Alors je doute. Je me dis que je suis folle, que c'est impossible.

Dans ces moments là, tout explose à l'intérieur. Lorsque cette partie doute, toutes les autres hurlent. Je ressens de la haine contre moi même. Je veux me punir, me faire du mal... Et le souvenir sensoriel de ce que j'ai subi me reviens. Je ressens des douleurs, je revis les viols dans mon présent comme si ils étaient en train de se dérouler, là maintenant.

Une autre chose difficile à gérer avec cette partie dissociative est sa difficulté à garder un secret. Elle a appris qu'il ne faut rien cacher, rien dissimuler. Et quand elle est là, j'ai tendance à trop parler, trop dire à tout le monde sans avoir conscience que des personnes mal intentionnées peuvent se servir de ce que je dis, sans comprendre qu'il y a des degrés à mettre dans les amitiés, les connaissances, les collègues de travail... Souvent, je me sens coupable, fautive, ou menteuse quand moi l'adulte, je cherche à me protéger et ne pas tout dire de moi à des inconnus. J'ai l'impression d'être malhonnête, de jouer un rôle, faire semblant si je ne divulguer pas tout.

Elle a aussi la croyance que si on est honnête et qu'on dit tout, les gens nous aimeront et seront bienveillants avec nous. Ce qui n'est malheureusement pas le cas...

"Soigner" un vécu traumatique comme le mien est long, très long... Je dois rééduquer mon cerveau, comprendre que certaines façons d'agir, certains mécanismes étaient nécessaires dans la secte mais ne le sont plus à présent... Et cela prend du temps!


Parler, s'exprimer.... Les règles qui m'ont été inculquées dans la secte ont fait que parler pour moi est difficile.

Parler, se confier aux autres, devenir "intime", se faire des confidences étaient interdit. Et si on le faisait, on subissait des punitions si on désobéissait. Cela pouvait aller jusqu'à être envoyé dans un pays très pauvre, en guerre ou être exclu et mourir socialement, disparaître...

Se questionner et réfléchir ne pouvait se faire qu'avec le gourou ou sa femme et c'était eux qui décidaient ce qu'il fallait faire, penser, croire... La "formation" était faite en interne avec des conférences du gourou, des livres du gourou... Je n'ai pratiquement aucune connaissance de la foi catholique car ce n'est pas ce qu'on m'a appris... Pas celle qui se pratique en dehors de la secte... Tout était "à la sauce de" la secte, avec leur vision très particulière. Les livres que j'avais le droit de lire étaient sélectionnés par la femme du gourou... Lorsque je suis arrivée en âge de voter, la femme du gourou m'a dit pour qui voter...

Et comme je l'ai déjà expliqué, penser par soi même était interdit, réprimé par tout un système bien rodé au sein de la secte.

Lorsque j'exprime mes opinions, que je donne mon avis, je suis très souvent envahie par des crises d'angoisse et l'impression de franchir un interdit. J'ai des angoisses avec l'impression que je vais mourir, je ressens des sueurs froides, je tremble...

M'exprimer est un véritable COMBAT pour moi. Une lutte interne pour aller à l'encontre de mes instincts, de ma survie ou ce que mon cerveau croit être de l'ordre de la survie...

Je ressens beaucoup de culpabilité à le faire, dire ce que je pense est mal, est l'oeuvre du malin, est destructeur car cela divise, est égoïste car de l'ordre du "besoin personnel" et non pour le bien du groupe et sa cohésion, sa continuité... C'est ce qu'on m'a appris...

A présent que je suis sortie de l'emprise sectaire, petit à petit, je tente de rééduquer mon cerveau.

C'est une chose d'être libre physiquement en étant sortie d'une secte. S'en est une autre d'être libre psychologiquement !!! Et particulièrement quand toute la base de notre construction en tant qu'individu a été façonnée par une pensée destructrice, la construction psychique tronquée d'un enfant qui doit à l'âge adulte tout réapprendre ....

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