Voici le deuxième podcast de Charlotte Pudlowsky sur l'inceste.
Dans ce deuxième volet, elle pose la question "Pourquoi les proches n'entendent pas les victimes d'inceste ?".
Une personne victime de violences sexuelles dans sa famille va subir des menaces plus ou moins directes pour la réduire au silence.
Dans mon cas, elles ont été multiples.
Le silence par des menaces physiques, véridiques.
Le gourou m'a menacée d'un couteau pointé sous le sein droit. "Si tu parles je te tue et je tue ta famille". Il s'est servi d'une intrusion d'un cambrioleur chez nous qui avait menacé ma mère et blessé mon père pour appuyer ses dires. Menace par des chiens, des dobermans qui rôdaient en grondant autour des cages dans lesquelles ils m'avaient enfermée lorsque j'étais toute petite. Menace par des étranglements multiples, des liens à mes bras, mes jambes, mon cou pour me montrer que si ils le décidaient je pouvais mourir, là, maintenant. Menace en me tabassant de coups de poings dans le dos.
Le silence par des menaces sur ma famille.
Si tu parles, tes parents seront bannis de la secte. Par ta faute, ils n'auront plus de maison, plus rien. Menace sur mes frères et sœurs, mes amies d'enfance...
Le silence par le fait de mettre la responsabilité et la culpabilité des viols sur moi.
Si tu parles, tu vas détruire un homme bon qui fait tellement de bien au monde, aux pauvres, à la société. Par ta faute tout cela s'arrêtera, des gens souffrirons, des gens seront abandonnés. Par ta faute, après tout l'amour que nous t'avons donné, tout ce qu'on a fait pour toi, il ira en prison. Tu auras détruit, salit tout ça. Le gourou t'aime tu sais ?
Silence par le refus de voir les signes flagrants des adultes autour.
Le gourou me recevait dans sa chambre-confessionnal. Il y avait son lit dans cette pièce. Lors des confessions avec les prêtres, des adultes se trouvaient dans la pièce juste à côté, juste derrière la porte... Il m'a installée juste au dessus de chez lui et a interdit l’accès aux autres personnes quand il m'a prise chez lui et retirée à la garde de mes parents.
Silence car lorsqu'on parle, on nous dit de nous taire.
Ma grand-mère maternelle m'avait dit "ne rien vouloir savoir". Mon père ne m'avait pas cru et avait tout répété au gourou. Et suite à cela, un violeur, un prêtre s'était ajouté à la liste de mes bourreaux. Mon père, plus tard m'avait violée.
Silence car lorsqu'on parle, les gens oublient ou ne posent pas de questions.
Enfant j'avais parlé à l'une de mes amies. Suite à cela, nous avions dû déménager en urgence. Mon amie était venue "s'assurer que j'allais bien" puis avait disparu de ma vie. Une adulte avait surpris mon violeur sur moi et s'était enfuie ensuite de la secte en pleine nuit. Elle était adulte et n'a rien fait, rien dit.
J'ai eu de nombreuses blessures au sexe et à l'anus. Personne n'a posé de question pour savoir comment et pourquoi j'en avais. On me donnais de quoi me soigner, me laver, me désinfecter mais rien d'autre.
Je suis en colère. Et assez étrangement, je suis plus en colère contre les adultes qui ont laissé faire que contre mes violeurs eux-mêmes.
J'étais très proche de ma grand-mère maternelle et ma tante. Mais lorsque j'ai pris conscience de ma dissociation, je n'ai plus été capable d'aller les voir. Je lui en voulais. Je lui en veux de m'avoir dit de me taire. Elle aurait pu empêcher cela. A son enterrement, je n'ai pas versé une larme. Seul la colère était là.
Je ressens encore de la colère contre mes grands-parents paternels. Ils savaient la violence dont été capable leur fils et n'ont rien fait. Ils étaient venu voir nos conditions de vie dans la secte et j'avais retrouvé des lettres échangées le prouvant. Ils savaient et n'ont rien fait. L'une de mes cousines avait été élevée par eux. Je ne comprenais pas pourquoi ils n'avaient pas fait les mêmes démarches pour nous. J'étais jalouse. Tout cela était injuste ! Pourquoi m'avaient ils abandonnées ?
Les membres de la secte oscillaient dans leurs remarques envers moi entre admiration, jalousie, ressentiment. Ils me renvoyaient constamment au sentiment d'être complice des actes abjectes que je subissais. L'une d'elle m'avait même traitée de "groupie" de la famille du gourou. On me reprochait mon "statut privilégié", ma proximité avec leur famille.
Encore aujourd'hui, ces adultes anciens membres de la secte me reprochent une certaine responsabilité dans ce que j'ai vécu. J'ai fait partie de cette famille, j'ai épousé le fils des gourous. Je suis donc coupable, je l'ai cherché, voulu. Pour eux, j'ai dit "oui". Ils oublient que j'étais une enfant et refusent d'entendre que les violences ont commencé lorsque j'étais toute petite. Ils refusent de regarder leur propre responsabilité, leur part active dans mon conditionnement dès l'enfance. Et par là-même ils refusent de repenser au passé et réfléchir et analyser toutes les fois où ils m'ont vue avec le gourou et prendre conscience de tous les signes qui auraient dû les alerter.
Parler, c'est aussi prendre le risque de perdre une relation.
Lorsque vers 11 ans, j'ai parlé à mon père, il n'a plus été le même. Il a cessé de me prendre dans ses bras. Puis il est devenu l'un de mes violeurs quelques temps plus tard.
Lorsque j'ai parlé à ma mère, il y a quelques années, cela a changé notre relation. Nous étions très "tactiles" toutes les deux. Nous nous prenions souvent dans les bras, nous embrassions... A présent, lorsqu'elle me regarde ou me parle, je sens une peur chez elle. Peur de mal faire, peur de mal dire... En comprenant ce que j'avais vécu, j'ai eu un passage extrêmement haineux à son égard. J'ai pris beaucoup de distance. A présent que notre relation s'est apaisée, elle a très peur de me blesser, n'ose plus rien dire ou rien faire. Elle n'ose plus me téléphoner par peur de ne pas savoir comment réagir, quoi me dire... Cela a cassé quelque chose dans notre relation.
Juste avant la mort de mon frère, son suicide, je lui ai parlé des violences conjugales que je vivais. Mon frère disait être responsable de n'avoir rien dit lors de mon mariage alors que tout le monde autour chuchotait que mon mariage était "arrangé". Quelques mois après, il s'est suicidé. Je ne peux m'empêcher de me sentir responsable de sa mort. Peut-être que si je n'avais pas parlé, sa mémoire traumatique, dissociative ne se serait pas rallumée ? Peut-être serait il encore en vie ? Peut-être que si j'avais été capable de comprendre, d'accepter mon diagnostic de TDI plus vite alors aurais je pu lui expliquer ce qu'il vivait, pourquoi il avait ces flashs backs... peut-être aurions nous pu nous soutenir...
Combien de liens d'amitié ai-je perdu suite à mes révélations ?
Combien m'ont dit "c'est trop dure pour moi" ?
Depuis, j'ai appris à faire en sorte que ce soit "moins dure" pour les gens.
Je continue à dire mais si les autres restent silencieux, absent... je ne cherche plus à les convaincre, je ne perds plus mon temps à essayer de les toucher, les réveiller, leur faire comprendre.
J'ai appris à n'avoir presque aucunes amies, à n'avoir qu'un cercle de proche très restreint autour de moi. J'ai appris à ne plus me justifier, culpabiliser, pleurer les abandons et les lâchetés.
J'ai appris à ponctuer mes messages et prises de contacts avec les autres de choses anodines et insignifiantes. "Mes filles vont bien, l'école se passe bien pour elles. Et toi ? Comment vas tu ?". Alors qu'à l'intérieur je n'ai qu'une question à leur poser : "Tu as entendu ce que je t'ai dit ? Tu as lu mon article ? Est-ce que tu me crois? Est-ce que tu m'entends? Pourquoi tu ne me rappelles pas ? Pourquoi tu ne m'en parles pas ? Pourquoi tu fais comme si rien n'a été dit ?".
Une autre manière de me dire de me taire. Encore, toujours, cette injonction au silence. Circulez, il n'y a rien à voir...
Et ces constatations et analyses des mécanismes de silenciation à l'oeuvre dans le viol inces-tueur rendent cette question omniprésente "pourquoi tu n'as pas parlé ?" encore plus douloureuse, encore plus génératrice de colère, de hurlement et de rage intérieurement, de sentiment d'injustice...
Comment ? Comment OSEZ-VOUS poser cette question ?
Alors que la seule question à poser dans ce cas est "Pourquoi ai-je refusé de voir?". "Qu'est-ce que J'AI vécu qui a empêché que je t'entende, te voie, te protège ?".
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