J'ai envoyé le lien de l'émission dans laquelle je témoigne à plusieurs anciens adeptes de la secte.
Depuis presque 7 ans maintenant que mon amnésie dissociative a explosé en vol et que mes souvenirs traumatiques me reviennent en flashbacks, j'en ai contacté plusieurs. J'avais besoin d'aide. En les contactant, je cherchais un soutien, des personnes qui m'aident à comprendre tous ces flashbacks, des personnes qui réfléchissent et cherchent eux aussi dans leur mémoire pour m'aider à resituer mes souvenirs dans le temps, les lieux...
Avoir des flashbacks, c'est assez atroce !
Ceux sont des bribes de souvenirs, comme des dizaines de petites pièces de puzzle qui n'arrivent pas à s'assembler.
Les tous premiers que j'ai eu étaient des odeurs, la sensation qu'on me grimpe dessus et qu'un poids énorme m'écrase, une pointe de couteau qui s'enfonce... pas de visage, pas de lieux.... c'est très effrayant !! On a vraiment l'impression d'être folle !!!
D'un côté on a ces sensations, ces odeurs, ces douleurs très présentes, très vraies qui d'un coup sont là et nous envahissent. Et de l'autre, on a le moment où cela revient qui n'a rien à voir. Tout est comme un "cauchemar éveillé" du quel on est incapable de s'extraire, qui nous obsède et nous terrorise.
On est constamment à se dire "c'est vrai, ça m'est vraiment arrivé" et en même temps, c'est tellement décousu, tellement étrange, tellement incongru dans notre présent qu'on se dit "je suis folle, c'est pas possible".
C'est comme un bras de fer à l'intérieur de notre esprit, une lutte permanente.
Et à tout cela s'ajoute les émotions, le cœur qui s'emballe, le ventre qui se serre, la tête qui explose...
C'est vraiment extrêmement douloureux et terrorisant !
En les contactant, je cherchais donc du soutien de leur part pour m'aider à rassembler ces pièces, avoir des confirmations de leurs parts...
Je me suis battue pendant longtemps avec eux pour qu'ils acceptent de m'écouter. J'essayais de leur expliquer la dissociation, le trouble dissociatif de l'identité...
Certains m'ont aidée et ont confirmé certaines choses. Cela a été un grand soulagement et apaisement pour moi.
Puis, il y a un peu plus de deux ans, ils ont cessé tout contact. Comme si ils s'étaient tous passés le mot. Ils m'abandonnaient. Cela a été très douloureux pour moi. J'en éprouve encore beaucoup de colère.
Suite à la parution de l'émission dans laquelle je témoigne, je la leur ai envoyée à tous.
Silence radio pour beaucoup. Quelques encouragements pour certains. Trois lignes.
L'une d'elle m'a "demandé pardon" il y a quelques jours.
Cela me met dans une rage folle. Je suis incapable de dialoguer sainement avec elle. Elle est un réactivant pour moi. Quand on échange, c'est comme si ma vision se brouille, je ne vois plus où je suis ni avec qui. Dans ma tête ça hurle, ça insulte, ça pleure. Et dans mon corps c'est la surchauffe. Mon cœur palpite à toute vitesse, mon ventre est plein de rage, j'ai envie de hurler et frapper. J'ai envie de hurler et pleurer. Je n'arrive plus à respirer.
Avec elle, je suis incapable de compassion, de compréhension, de bienveillance, d'écoute. Je n'arrive pas à prendre du recul. Je n'arrive pas à me mettre à sa place, la comprendre.
Cette personne était là, à chaque fois. Elle n'a pas été complice des viols et violences que je subissais mais elle était présente pratiquement tout le temps juste avant ou juste après. Elle était là avec le moine. Elle m'a même dit que "j'avais de la chance d'être sa préférée". Lors des spectacles, c'est elle avec le gourou qui me mettait en avant. C'est elle qui me faisait des reproches après le spectacle lorsque je m'étais plantée. C'est elle qui m'a emmenée chez mon ex mari lorsque j'avais 17 ans et qu'il m'a violée. C'est elle qui a monté le spectacle de mon mariage où on m'a peint le visage en bleu. C'est elle qui m'a donné des cours de musique, qui ont été un prétexte pour que le gourou puisse me voir et me faire venir chez lui plus souvent. Elle était présente à chaque fois. Pas complice. Elle ne savait rien, ne se doutait de rien. Mais elle obéissait.
Elle me répond toujours "je ne me souviens de rien, je n'ai rien vu, je ne savais pas".
Et systématiquement elle ajoute "tu sais c'est très dure pour nous de t'entendre, très douloureux."
Et tout ce que ça hurle dans ma tête c'est "et moi? Putain et moi? Ca n'a pas été douloureux pour moi? n'est ce pas plus douloureux pour moi qui revis jour après jour dans ma chaire ce qu'ils m'ont fait ?". Je trouve cela indécent de sa part de comparer la douleur de nos prises de consciences. Et ce que je trouve indécent surtout c'est que moi, mon corps, mon cerveau ne me laissent pas le choix. Je ne peux pas choisir de mettre de côté, de refuser les souvenirs traumatiques, de refuser de ressentir. Je ne contrôle rien.
Si elle et les autres acceptaient de se souvenir, de chercher dans leur mémoire, ils pourraient énormément m'aider !!!
Elle pense à sa pomme, à sa douleur, à son équilibre, à son bien-être. Et moi ça hurle. On en crève de ce silence, de cette peur de faire face, de cette chape de plomb.
Il y a d'autres enfants victimes. Il y a d'autres adultes victimes. Qui pense à eux ?
Elle me dit qu'elle m'a soutenu pour mon divorce et qu'elle s'est battue pour que l'Eglise reconnaisse les dérives sectaires. Mais elle ne pense pas aux victimes. Elle refuse de diffuser mon témoignage aux autres car "ce serait trop douloureux". Mais elle n'a aucune pensée pour les autres victimes qui sont seules, se croient seules. Et qui souffre actuellement.
Elle m'a sorti que "il y a quelques temps elle ne savait même pas ce qu'était une fellation et que c'était très douloureux pour elle d'entendre parler de cela". Mais pas une fois elle ne prend conscience de la violence de ses propos. Et moi? Quand j'étais violée et mineur? N'était ce pas encore plus atroce pour moi d'être forcée à faire ces fellations avec ma bouche de petite fille innocente qui ne savait rien du sexe, n'y comprenait rien ? Comment peut elle comparer découverte du sexe d'un adulte et viols d'un enfant et la douleur que cela engendre ?
Et elle me demande pardon.
Je ne peux pas lui accorder ce pardon. D'abord parce que je pense que le pardon c'est à soi qu'on l'accorde. Et ensuite parce que quand on a commis des fautes, pour moi la seule façon de les modifier c'est de s'impliquer, agir pour réparer. Dire "je ne me souviens pas" ce n'est pas faire face. Ce n'est pas voir nos actions et celles des autres. Et si on ne fait pas face comment peut on demander pardon pour ce qu'on n'accepte même pas de reconnaître et se souvenir?
Elle pourrait chercher à retrouver et lister tous les membres qui ont vécu dans la secte. Elle pourrait les contacter et leur transmettre mon témoignage. Elle pourrait fouiller dans tous les documents qu'elle a en sa possession et chercher ce qui pourrait appuyer mes dires. Elle pourrait chercher à retracer l'historique de ses déplacements et comme elle était constamment accompagnée de la famille du gourou, elle pourrait ainsi énormément m'aider à retracer les dates et lieux des viols.
Pour moi, agir ainsi serait une forme de pardon.
Pour elle, nous sommes co victime. A égalité.
Je ne suis pas d'accord ! Elle est victime. Oui.
Mais elle était une adulte, qui a grandi en dehors de la secte.
Elle a choisi d'y aller, d'y faire des vœux, d'obéir à leurs injonctions et règles. Elle a été un rouage du système qui a permis que je sois violée et maltraitée.
Nous méritons toutes les deux réparation.
Mais nous ne sommes pas égales dans le degré de victimation. Nos vécus ne sont pas les mêmes. Sa construction psychique lorsqu'elle était enfant n'a pas été la même que la mienne. Elle a vu et vécu d'autres choses, elle pouvait comparer avant de venir dans la secte et après. Moi j'y suis née et cela a été tout mon univers. Ses parents n'étaient pas dans la secte, sa famille non plus. Elle avait d'autres références. Notre sortie de la secte n'est pas comparable. Ni sa difficulté. Aujourd'hui elle n'a plus de lien avec la secte. Moi si, le père de mes filles est le fils du gourou. Que je le veuille ou non, ils peuvent toujours me toucher, m'impacter. Moi je ne peux pas tourner la page et passer à autre chose. Elle, elle est libre d'aller ou elle veut, faire ce qu'elle veut. Moi pas. Nous sommes différentes. Notre souffrance est différente.
Je sais bien que n'importe qui peut se retrouver dans une secte, embrigadé.
Je sais l'emprise, la manipulation.
Mais quand je demande de l'aide aux anciens de la secte, je ne demande pas une amie avec qui aller faire des balades ou du shopping. Dans l'un de ses mails d'il y a 3 ans, elle mettait notre amitié sous condition. Je devais arrêter de lui mettre la pression pour qu'elle se souvienne et ne faire aucun reproche et on pourrait être amies et se revoir. En fait je demande à être enfin aidée et protégée je ne demande pas une amie.
Je suis une adulte à présent. Pour moi, le premier devoir d'un adulte est de protéger les enfants. Et c'est ce que je fais. Je m'expose. Je me mets en danger publiquement. J'alerte sur les sectes et les dérives sectaires. Je témoigne pour que d'autres victimes sachent qu'elles ne sont pas seules, sachent qu'elles peuvent libérer leur parole, qu'elles peuvent demander justice. Je fais face jour après jour à mes traumatismes pour m'en libérer, pour ne pas les reproduire. Je me bats pour mes filles, pour qu'elles aient un autre vécu que le mien.
Chaque victime avance à son rythme de reconstruction et de prise de conscience. Cela aussi j'en suis consciente. Mais cela fait 20 ans qu'elle en est sortie. Et 7 ans que je parle.
Quand on sort d'une secte, il faut quelques années pour se reconstruire. Je le sais. Je suis passée par là. Mais pour moi, après avoir léché ses plais, à un moment donné, il faut agir d'une façon ou d'une autre.
Agir sur soi, pour comprendre ce qui nous a amené à cela et ne plus retomber dans les mêmes schémas de croyances et pensées. Ne plus retomber dans une autre dérive sectaire. Et trouver de l'aide psychologique pour faire face à notre honte, notre culpabilité, notre colère, notre tristesse... Faire un travail de deuil sur ce qu'on a perdu et un travail de pardon de soi... Reconnaître nos forces, nos faiblesses. Accepter de regarder nos réactions et actions. Accepter de voir notre implication, ce qu'on a fait de bien ou de mal. Se souvenir et décortiquer.
Mais aussi alerter et protéger les autres pour que personne ne vive ce que nous avons vécus surtout si il y a des enfants potentiellement victimes!
Pour moi, ne pas faire ce double travail sur soi et pour protéger les autres c'est comme être encore complice de la secte. C'est les laisser recommencer, leur laisser le champ libre.
C'est s'abandonner et abandonner les autres.
Le pardon pour moi ne peut passer que par là : lutter et s'impliquer.
Pour avoir vécu/subit une histoire similaire à la votre, je tenais à vous témoigner tout mon soutien. Je lis avec beaucoup d'attention vos articles, et je me reconnais beaucoup dans plusieurs de vos écris. Alors, bien sur, cela ne va certainement rien changer pour vous mais sachez que si vous avez besoin d'échanger, sans aucun jugement, ni condition, je suis là.
Sand