Le cerveau se trompe, le corps est fourbe. En qui dois-je avoir confiance? Qui dois-je croire?
En qui remettre ma survie? Qu'est-ce qui me sauvera?
Le cerveau pense : il y a des attentats, c'est dangereux, des gens meurent assassinés... La maladie est là, elle a tué, elle tue... On est enfermé, séquestré, ligotté... Il n'y a plus de liberté, tout est contrôlé, le monde est remplis de dangers. Le corps réagit, il s'inquiète, le cœur bât plus vite, le ventre se noue, la gorge se serre, on ne peut plus respirer... Il a peur, dehors, dedans, autour tout n'est que mort et danger.
Le cerveau sent la peur du corps. Il réagit. Il cherche dans les tiroirs. A-t-on déjà vécu ça ? Que doit-on faire? Comment dois-je réagir?
Les portes s'ouvrent à l'intérieur. Les têtes apparaissent, les corps sortent des pièces.
Toutes elles accourent à la rescousse. Moi je connais, j'ai déjà vécu la peur. Non moi je connais, je sais ! Non, moi !
Ca se bouscule à la porte des yeux et des oreilles. Ca se bât, ça se pousse. Tout le monde veut prendre les commandes du corps.
Je sais mieux que toi ! Il faut fuir! Courre, courre !!!
Non, elle se trompe ! Il faut se battre, trancher dans le lard, taper, frapper des poings, hurler la rage et la colère !
Non! Surtout pas ! Ils nous tueraient ! Il ne faut plus bouger, faire la morte et attendre. Il n'y a que comme cela que l'on survivra ! Dors ! Ne bouge plus, ne respire plus, ne mange plus. Le monde autour n'existe pas. Rien n'existe. Oublie. Tu n'es rien, tu ne ressens rien. Tu n'existes pas !
Ca se chamaille dans la tête. Tout le monde hurle, tout le monde cri. Il y a tellement de bruit que c'est insupportable.
Les unes après les autres, elles sont devant.
Je suis Fuite. Vite ! Rassembler des affaires, trouver où aller se cacher. Mettre des bonnes chaussures. La réalité se brouille. Je suis chez moi, mais je n'y suis pas. Je suis dans la forêt. Le prêtre est sur moi. Je veux fuir. Ses mains comme des serres pointues me lacèrent les épaules. Fuir, il faut fuir. Non ! je suis dans les grands couloirs, vite il faut se cacher ou il va m'emmener, je devrais me mettre tout nu. Ca va recommencer !
Je suis Colère. La rage m'envahie, un long hurlement s'échappe de mes lèvres. Il est sur moi dans la chambre confession. Je me débats. Je frappe et insulte "couille molle". Il rigole. Il m'attache. Je ne suis pas assez forte ! Larmes de rages et d'impuissances.
Je suis Morte. Morte ne sent rien. Morte ne voit rien. Morte n'entend rien. Morte n'est plus là. Morte est comme anesthésiée. Morte est dans des bras, on la porte et la pose dans le coffre d'une voiture. Morte est dans l'herbe. Au dessus d'elle il y a quelqu'un mais morte ne sent rien. Pour morte, le corps n'existe pas, tout autour quand les yeux regardent, tout est flou. Morte n'entend que des bourdonnement d'abeille. Morte n'entend rien et ne comprend pas ce qu'on lui dit. Morte est une poupée de chiffon, morte n'a pas d'os, pas de muscle. Morte dort. Morte sait juste dormir et ne rien ressentir. Morte se dit toujours que si elle ne bouge pas, il comprendra, il arrêtera. Morte se dit toujours que si elle dort, ça passera plus vite. Morte se dit toujours que si elle fait la morte, peut-être qu'enfin tout s'arrêtera, son cœur aussi, ses poumons aussi. Elle sera enfin délivrée. C'est ce que Morte veut. Ne plus rien penser, vivre, espérer, attendre. Morte n'attend que la mort.
Mais le corps refuse. Les autres refusent. NON !!!
Passé, réalité, présent... Tout est flou. Inconstant. On ne sait plus.
Qui croire ? Qui écouter? Quoi faire ?
Ca pleure dedans. Ca hurle dedans.
On est en danger ! On est seul ! Il faut trouver quelqu'un ! Quelqu'un qui nous sauve, quelqu'un qui nous protège. Si on est gentils, il nous protègera. Trouve quelqu'un vite !!!
La sœur ? Elle travaille. Elle ne peut pas écouter, rassurer, consoler.
La psy ? Aujourd'hui on ne la voit pas. Son cabinet est fermé.
La mère ? On a essayé mais elle ne sait pas encore bien écouter les autres, leur répondre. Elle aussi est inquiète. Il ne faut pas l'effrayer, elle serait submergée.
Le patron ? Aujourd'hui il est occupé, il doit gérer plein d'autres personnes. Il a dit fait au mieux, je te laisse gérer.
Le copain ? Il travaille. Il peut serrer, embrasser ce soir mais pas maintenant.
Que reste-il?
Dedans ? Faire confiance ? Ecouter ? Tempérer ? Cloisonner ? Enfermer ? Oublier ? Consoler ? Cajoler ?
Je ne veux pas ! Elles ne veulent pas !
Ecoutez !!!
C'est FINI ! On n'est plus une petite fille impuissante !
Personne ne va nous violer, nous attacher, nous frapper, nous torturer !
C'est pas pareil ! Regardez ! Ecoutez ! Observez !
On est en sécurité ! Ce n'est pas parfait, mais on l'est !
Vous devez changer ! Vous devez modifier vos rôles ! Vous devez coopérer !
Vous avez souffert. Je le sais. On le sait.
Vous partagerez, vous raconterez. Vous n'avez plus besoin de vous taire. Vous n'êtes plus seules. On est une armée. On est une équipe. Vous êtes ma troupe, ma team.
Ce que vous avez vécu est passé. Ce que vous avez vécu est terminé.
Aujourd'hui, ensemble, on va aller travailler. On va stopper la peur, la terreur, la douleur.
Maintenant cela suffit ! On va faire un pas après l'autre. On va faire une minute après l'autre.
Ca va aller !
On est une adulte. On a survécu. C'est fini. On est forte. On est en sécurité. Tout va bien se passer. C'est terminé.
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