top of page
Photo du rédacteurLeelah

16/07/2020 Les éblouis

Dernière mise à jour : 5 sept. 2020


J'ai re-regardé ce film hier soir, j'en profite donc pour vous en faire un retour.

Même si l'histoire peut vous paraître grotesque à certains moments ou exagérée, je trouve qu'il est assez exact dans sa description de ce que j'ai pu vivre dans la secte dans laquelle j'ai grandi.

Cette histoire est romancée mais basée sur une histoire vraie, celle de Sarah Suco. Comme moi, elle a vécu dans une "communauté nouvelle catholique".


Le côté endoctrinement, est bien retranscrit. Le fanatisme qui prend la place tout doucement, s'insinue. Les petites phrases, le contrôle allant jusque dans chaque petit détail de la vie de tous les membres de la famille est très bien expliqué.


Regarder ce film est assez difficile pour moi.

D'une part j'ai envie de le montrer à toutes les personnes proches de moi car il me permet de montrer une partie de ce que j'ai vécu.

Les films permettent de rentrer dans une histoire, de comprendre "de l'intérieur" et d'avoir la possibilité pour celui qui regarde de prendre ou non de la distance face à ce qu'il voit sans me blesser. Quand je raconte mon histoire, les gens sont confrontés à la violence de ce que j'ai vécu mais sont aussi assez dubitatifs et ont du mal à comprendre de quoi je parle car ce que je décris est trop éloigné de ce qu'ils connaissent.

De plus il leur est plus difficile de demander une pause lorsque je raconte et je suis en "ligne directe" pour voir leurs réactions et l'émotion qui les traversent, le rejet, la peur... et cela peut-être très douloureux pour moi. Alors qu'avec un film, les émotions seront plus neutres et la personne a la possibilité de s'extraire du récit sans que je prenne cela comme un rejet ou un abandon de leur part.

Cela me permet de faire comprendre le côté en marge de la société, les rituels étranges...

Ils peuvent voir concrètement ce dont je leur parle, les temps de prière, le fanatisme... Ce film est un atout pour moi lorsque je cherche à faire comprendre ce que j'ai vécu.

Néanmoins, il ne montre qu'une toute petite partie de ce que j'ai vécu. Il survole à peine la réalité des "communautés nouvelles".

Moi, j'y suis née et cela a fait partie de mon éducation et mon environnement durant toute mon enfance et mon adolescence.

L'héroïne du film entre dans cette communauté adolescente, a des attaches extérieures, a déjà développé un esprit critique et a donc la possibilité de remettre en question ce qu'on lui impose et dit. Moi je ne l'ai pas eu. Et la communauté qu'elle dépeint a des "maisons extérieures" réservées aux familles, celles-ci ont donc la possibilité de vivre des temps en famille que nous n'avions peu ou pas. Nos logements n'étaient pas séparés, nos parents n'avaient pas de travail à l'extérieur. La jeune héroïne est seule dans son école, nous nous allions en classe avec d'autre enfants de la secte. Nous étions toujours entourés et baignés dans cet environnement. Le moindre de nos faits et gestes était surveillé, rapporté au gourou... Les temps de prières étaient bien plus importants. Les enfants n'avaient que très peu de temps avec leurs parents, beaucoup de temps entre jeunes étaient organisés. Nous n'avions pas la possibilité comme Sarah Suco peut le montrer de prendre du recul, de nouer des amitiés extérieures qui auraient pu nous aider à voir notre environnement différemment. Nos maisons étaient des maisons à la campagne et dans le film, ils sont en ville. Sa possibilité de s'ouvrir au monde extérieur était donc plus importante par rapport à celle que j'ai pu vivre.


Petit bémol : je trouve dommage que les acteurs n'aient pas été mieux dirigés lorsqu'ils font les séances de chants et prières. Ces moments semblent étranges et presque grotesques, risibles dans le film mais je pense que c'est un aspect clé qui aurait pu être mieux retranscrit pour comprendre l'émulation que peut susciter ce genre de secte.

Dans ces communautés, ces moments de prières étaient très importants et lorsque nous les vivions, tout le monde était comme drogué, survolté... On ne retrouve pas dans le film le côté transe des prières. Lorsqu'on le regarde, on a envie de rire, les acteurs sont ridicules... C'est je pense une chose primordiale pour comprendre comment des gens peuvent tomber dans une secte et s'y retrouver piégés.

Tout le monde a plus ou moins vécu ce phénomène à des degrés divers bien sûr ! L'homme est en "recherche" de cela en quelque sorte. Cela va peut-être vous choquer mais si vous réfléchissez et essayez de chercher objectivement, dans la société le même genre de chose peut se produire. Les gens qui deviennent fou lors des soldes, ceux qui font la queue pour le dernier I-phone, l'émulation dans un stade ou lors d'un concert... dans ces moments-là, l'homme est comme hors du temps, son jugement, sa volonté, ses actes sont comme portés par le groupe, la foule...

Petite explication sur les moments de "prières" :

Les moments où ils chantent en murmurant sans paroles distinctes se nommaient dans la secte "le chant en langue".

Le principe de ce chant : tu es tellement vide, tellement en connexion que tu deviens le réceptacle d'un chant divin inspiré par le divin, un chant chanté dans une langue inconnue, une langue universelle, la langue des anges. Un peu comme une transe chamanique. L'esprit saint était sensé venir en chacun de nous et le chant était sensé se transformer en un chant des "anges" harmonieux et saint. A ces moments là tout le monde était comme drogué, dans son propre univers.

Les moments dans la chapelle où ils font une sorte d'imposition des mains sur une personne, se nomme "le repos dans l'esprit". L'esprit saint est sensé descendre sur nous et nous vivons alors un "repos" et nous mettons alors dans "les mains de l'esprit saint". Les gens sont pris dans une émotion particulière à ces occasions et tombent comme des mouches, s'évanouissent littéralement.

Le fait d'être porté par le groupe, la foule les met en transe. C'est comme si le temps s'arrête et les gens sont comme drogués à nouveau.

Il n'y a rien de mal à hurler et être fan d'un chanteur. De jeunes groupies peuvent s'évanouir devant leur idole. Certaines personnes peuvent être fans au point de dépenser des sommes folles...Cela peut devenir problématique lorsque les gens ne peuvent pas revenir à la réalité et reprendre leur indépendance de pensée. Lorsque vous sortez d'un stade où vous avez hurlé et acclamé un joueur de foot, vous reprenez votre vie, la réalité reprend le pas et cette "adoration" n'est qu'une parenthèse dans votre vie.

Lors des cérémonies religieuses, il y avait une atmosphère très particulière. Nous sommes serrés les un sur les autres dans un espace clos, il y a de l’encens, une atmosphère parfois tamisée. La cérémonie du "repos dans l'esprit" se faisait après un long temps de prière, les gens ressentaient une paix profonde, un grand bonheur. L'impression d'être "entouré" d'amour, porté par le groupe, par les chants était très forte. Le gourou pouvait alors dire des phrases, qui semblaient anodines comme dans le film lorsqu'il parle de la femme qui a peur de son mari et est perdue. Certaines personnes pouvaient alors être touchées et demander à être "guéries" de leurs blessures par cette "imposition des mains". C'était des moments très forts, très intenses de communion. Nous en ressortions groggy, l'esprit embrumé. Nous avions l'impression d'avoir vraiment communiqué avec Dieu à cet instant.

Comprenez moi bien, je ne cherche pas à en faire la publicité ni à dire que ces moments étaient de beaux moments. Je pense au contraire que c'est ce genre d'instants vécus qui permettaient ensuite au gourou d’asseoir son emprise sur les personnes qui venaient dans la secte. Mais ce que je cherche à vous faire comprendre est que n'importe qui peut y être confronté et que l'homme est en "demande" d'une certaine façon de ce genre d'instant. Nous voulons communier avec la nature, être tellement perdu dans la contemplation de sa beauté, nous voulons être transporté par une musique et sentir vibrer chaque note dans notre corps... Lorsque nous vivons ce genre d'instant comme suspendu dans le temps nous avons l'impression d'être vivant, d'être en paix, d'être heureux... Et c'est ce que les gens ressentaient dans ces cérémonies. Réduire les victimes de sectes à des andouilles et des faibles est trompeur et faux. Ce sont de gens comme vous, avec les mêmes besoins que vous, la même intelligence que vous et les mêmes failles que vous. La différence est qu'ils ont à faire à des experts en manipulation qui vont se servir de ces instants pour les asservir.


Je ressens beaucoup de colère à chaque fois que je visionne ce film ! Comment et pourquoi personne ne nous a sauvé ? Cela se passait au vu et au su de tous !

Lorsque mes amis le regardent, ils rigolent et trouvent cela grotesque. Ils disent souvent que eux ne seraient pas tombés dans le piège. Ils pensent que cela n'arrive qu'aux autres, que ce genre de chose est connu et que seuls des gens vraiment fragiles et bêtes peuvent encore aujourd'hui tomber dans les filets de ce genre de communauté à dérive sectaire...

Ils ne comprennent pas que se retrouver dans ce genre d'environnement ne se fait pas en un coup, que les "bêlements" ou les agissements étranges ne sont pas montrés immédiatement, qu'ils ne sont pas être acceptés comme ça sans qu'avant la toile d'araignée n'ait été tissée autour de la proie avec beaucoup de soin.


Le bêlement pour appeler le "berger" à table, dans la secte où j'ai grandi nous ne le faisions pas. Mais l'image que cela donne est assez exacte. Il nous fallait attendre pour tout, le repas, l'office... parfois nous pouvions attendre 30 minutes ou une heure que le gourou arrive et ce n'était qu'à ce moment là que la cérémonie pouvait commencer ! Nous poussions alors de grands cris de joies pour acclamer son arrivée...

Les moments avec le gourou où il dit "ce qu'il faut" pour couper les gens de leurs familles sont bien retranscrits. C'est l'association du fort interne et du fort externe. En fait ce qui pose problème et peut mener à des dérives sectaires est lorsque l'accompagnement spirituel est fait par la même personne que celle qui va décider de votre quotidien. Lorsque l'on va voir un psy, celui-ci saura tout de vos pensées, de vos ressentis, de vos "faiblesses" mais celui-ci n'aura aucun contact avec vous dans votre quotidien. Il ne connaîtra pas votre famille, vos collègues de travail, votre milieu de vie. Il ne pourra donc pas aller parler à votre patron et lui dire que vous le détestez ou aller voir votre famille et leur expliquer vos pensées intimes... Cela devient problématique lorsque le gourou connaît votre intimité dans les moindres détails et décide également de l'endroit où vous allez vivre, de vos liens d'amitié, de tout votre quotidien... Et si cette personne se sert de vos faiblesses intimes pour vous manipuler ou faire du chantage dans votre entourage et votre vie quotidienne.


Le contrôle poussé à l'extrême sur l'habillement et l'interdiction de porter certaines couleurs était identique chez nous. C'était même mentionné dans les règles de vie de la secte. Les demandes de pardons en public sont exactes. Nous c'était devant tout le monde dans l'église.


Entrer dans ce genre d'environnement se fait je pense au départ parce que la personne recherche un idéal puis va rester car il a une faille, une blessure. Les personnes qui venaient chez nous le faisaient car ils étaient déçu par la société et étaient en recherche d'un idéal de vie. Et c'est ce que nous représentions !


Tout le monde était souriant, attentif, à l'écoute, affectueux... Nous ne disions et montrions que du positif. Nous disions sauver le monde et l'humanité. Qui ne voudrait pas croire et espérer en cela ? Qui n'est pas en recherche d'amis, d'une famille idéale ? Qui ne voudrait pas se battre pour que les autres êtres humains soient mieux traités ? Qui n'est pas en colère contre la société parce que son administration est froide et indifférente, contre la justice qui n'est pas juste, contre l'homme parce qu'il est égoïste et froid ?

Nous apportions le témoignage que ce monde idéal existe sur terre et beaucoup espéraient et y croyaient. Bien sûr la réalité était toute autre mais les nouveaux adeptes ne s'en rendaient compte que trop tard, une fois que tous liens extérieurs avaient été coupés de manière radicale avec leurs familles et leurs amis de leur vie d'avant, une fois que des mots et des actes de rupture irrémédiables avaient été dit... Une fois que 10, 20 ou 30 ans s'étaient écoulés... Comment alors repartir de zéro ? Comment retourner dans une société qu'on ne connaissait plus ? Comment expliquer 10, 20 ou 30 ans d'absence dans le monde du travail ? Comment repartir et trouver un logement quand on en sortait à bout de souffle, exsangue et sans un sou en poche ? Le glissement se fait tout doucement.


Au début, on veut y croire alors on ne voit que les choses positives. Puis la routine s'installe, on nous en demande de plus en plus physiquement et psychiquement et on se dit que pour avoir un idéal, il faut le mériter, que cela ne peut pas se faire sans don de soi, sans souffrance... On est transporté, poussé par le témoignage des autres, le discours du gourou... On dort de moins en moins, on travaille de plus en plus... Chacune de nos pensées, chacun de nos actes est analysé, décortiqué par le gourou... On prend l'habitude d'être dirigé, contrôlé et c'est tellement plus facile de se laisser aller ainsi... Notre vie ne nous appartient plus, les conséquences de nos actes ne reposent plus sur nos épaules, le poids de la vie semble plus léger : notre destin est entre les mains de "Dieu"... Tout est plus "facile", "simple"...


Pour les familles, la responsabilité des enfants ne reposent plus sur eux, c'est le groupe, la secte qui s'en occupe. Un enfant en rébellion, qui tourne mal est "éduqué" et repris par le groupe. Les parents n'ont plus à se demander si ils font les bons choix, si ce qu'ils font et ce que leurs enfants deviennent est de leur faute ou non... Les mères n'ont plus à gérer seules leurs enfants en bas âges, elles peuvent les laisser à d'autres adultes... Les repas sont faits par la communauté. Toute la vie est réglée, poussée par le rythme de vie de la secte. Les jours de fatigue sont effacés par la dynamique du groupe... C'est plus "facile" pour les familles. Élever seul son enfant est dur, éprouvant au jour le jour. Dans ces sectes, ces difficultés n'existent plus, tout est de la responsabilité du groupe.

Les jeunes sont emmenés et éduqués aux valeurs chrétiennes, la peur pour les parents que nous tombions dans la drogue, fassions de mauvaises rencontres s'efface... Se dire qu'on se sent moins seul face aux dérives de la société dont on veut protéger ses enfants... Donner des valeurs, un regard non raciste, non individualiste, positif à ses enfants...

En soit, rechercher cela pour ses enfants n'est pas mauvais, c'est l'escalade qui est grave, l'emprise et la manipulation qui se met en place.


Voici un documentaire sur une communauté nouvelle catholique illustrant certains des points dénoncés dans le film les éblouis :



36 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

04/06/2022 Amnésie infantile

Comme on m'a renvoyé au visage que mes souvenirs de deux et trois sont soit disant des "souvenirs induits", j'ai fait des recherches sur...

Comments


bottom of page