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  • Writer's pictureLeelah

04/06/2022 Plainte

Porter plainte... Avant de se lancer la dedans, on ne se rend pas compte du tout de ce que cela implique...

Pourtant j'ai "un peu d'expérience" dans les tribunaux. Mon divorce et la bataille pour la garde de mes filles a duré 7 ans... J'ai donc déjà été confronté à des juges, à plusieurs avocats, à la lenteur du processus, l'attente pendant des mois, les verdicts...


Depuis un an, j'ai enfin pris la décision de me lancer dans des démarches pour porter plainte. Un an. Et je suis toujours au point mort et ce week-end je dois prendre une décision très difficile.


Depuis un an que c'est il passé ? Je ne suis pas restée les bras croisés. J'ai trouvé un premier avocat. Le temps de fixer un rendez-vous avec lui, de décider notre "stratégie"...

Il ne faut pas se voiler la face, le justice est telle que nous devons bien choisir où faire le dépôt de plainte et comment. Porter plainte dans un commissariat? Lequel? Avec des personnes formées un minimum à la dissociation? Formés aux dérives sectaires? Porter plainte en écrivant au Procureur? Il faut être stratégique car malheureusement la réalité est telle que très peu de professionnels sont formés et mon témoignage est plutôt complexe...


J'ai donc mis par écrit ma plainte. Cela n'a pas été facile ! Il m'a fallu surmonter beaucoup de douleurs et sensations physiques, d'émotions, de flashbacks... Parce que écrire ce qu'on a vécu c'est se souvenir, revivre tout ce qu'on nous a fait...

J'y suis parvenue et je l'ai envoyé à mon avocat. Sa stratégie était que nous envoyons ma plainte au Procureur.


Pour vous donner un exemple de dates :

Première prise de contact avec mon avocat en mars 2021, en avril il me recontacte et je lui transmets mes pièces du dossier. En août, nous fixons la date du premier rendez-vous entre nous. En septembre, il me demande d'écrire ma lettre au Procureur, mon témoignage en datant et en précisant les lieux et les faits. En octobre je lui transmets le document que j'ai rédigé et lui demande de me faire un retour pour savoir si il manque des informations ou si je peux l'envoyer ainsi. En novembre, il me dit qu'il doit y ajouter la qualification pénale des faits. J'attends donc son retour. Il me répond en février 2022 avec ces faits qualifiés pénalement.


Lors du premier rendez-vous que j'ai eu avec mon avocat, il a été merveilleux, très bienveillant et à l'écoute, très rassurant... Je me sentais en confiance. Puis au fil des mois d'attente, j'ai commencé à me dire que je ne pouvais pas entamer de telles démarches si je ne me sentais pas soutenue. Le silence de tous ces mois, l'incertitude... Tout cela était trop anxiogène pour moi. J'ai donc décidé de changer d'avocat.


Retour à la case départ.

Premier rendez-vous avec ma nouvelle avocate. Ce rendez-vous a été très très éprouvant pour moi ! Cette fois-ci, l'avocate que je rencontrais était une "avocate", pas une psy, pas une amie bienveillante et à l'écoute. Je ne sais pas trop comment expliquer. C'était une "professionnelle", dans son rôle d'avocate qui dit froidement ce que je peux attendre de la justice et ce que je n'en obtiendrai pas. Méticuleuse, observatrice. J'ai eu l'impression de passer un test ce jour là. Un test pour voir si je pars en vrille, si je suis solide, si je suis réaliste, si je suis motivée à me battre et pour quoi je veux me battre... L'avocate a "joué" l'avocat de la défense ce jour là. Elle m'a dit tout ce qu'on pourrait ou pourra m'envoyer en pleine face si je suis auditionnée par la police et si je me retrouve à la barre à témoigner devant un juge et un jury. Suis-je certaine d'avoir un TDI? Un TDI ne serait-il pas une psychose? Ne serait ce pas des hallucinations que j'ai ? Les autres avocats diront que j'invente ou que je suis folle.... Le TDI est controversé. Je décris des faits incroyables et invraisemblables. Le TDI est iatrogénique (influencé par une "mode" de société)... Dans quel but est cette plainte ? Qu'est ce que j'en attend? Pourquoi faire cette démarche et ne pas passer par des voies pour "dire" autres et plus "faciles" telles que écrire un livre ou continuer sur ce blog?

Cela a été extrêmement éprouvant ! J'ai plusieurs fois eu envie de me lever et sortir. Dans ma tête, mes parties dissociatives hurlaient. J'ai dû contrôler mes émotions. Mes parties dissociatives "petites" en ont été très blessées avec l'impression qu'elle ne s'engageait pas, ne nous disait pas clairement si elle nous croyait ou non ni si elle acceptait de prendre notre dossier et de se battre pour nous.

Quelques jours après ce rendez-vous, j'ai passé plusieurs jours très difficiles ! Ca hurlait dans ma tête !! "Elles ne nous croit pas ! On n'a pas confiance! On veut tout arrêter !".

Il m'a fallu plusieurs jours pour remettre le calme à l'intérieur et raisonner tout le monde.

Accepter qu'une avocate n'est pas une psy ou une personne "bienveillante", qu'au contraire, le fait qu'elle soit froide et méthodique, qu'elle ne me cache rien et m'avertisse d'emblée sur ce que j'aurai à affronter et supporter est un gage d'honnêteté. Le monde de la justice se base sur les faits et sur les preuves. Il n'a pas d'affecte, pas de sentiment, pas d'émotions. Il regarde les faits et en fonction des preuves qu'il trouve, il rend justice.


J'ai réfléchi. Qu'est ce que j'attends de cette plainte ?

J'ai vraiment pris conscience face à cette confrontation que je devais séparer ma reconstruction psychique et ma démarche de plainte.

Depuis que j'ai commencé à travailler en thérapie, à comprendre que j'ai un TDI, à mieux dialoguer, coopérer intérieurement je mène deux batailles distinctes.

Me reconstruire, aller mieux dans mon présent, repérer mes réactivations et faire en sorte de mieux les gérer pour qu'elles n'entravent plus mon présent, créer un climat intérieur d'écoute, de confiance, de collaboration pour diminuer ma souffrance quotidienne, mes conflits sur mes choix dans mon présent.

Et avancer dans le dialogue interne, faire en sorte que chacune de mes parties dissociatives coopèrent, que je n'ai plus de barrières dissociatives, d'amnésies dans le but de pouvoir témoigner à la police.

Deux objectifs à deux vitesses. Le premier est un travail de longue haleine ou la moindre amélioration demande des semaines voir des mois de dialogues, de compromis... Modifier mes tendances à l'action, modifier mes croyances, modifier ma vision pessimiste du monde, accepter de réfléchir, accepter de dialoguer, accepter de remettre en cause ma vison du monde, des relations humaines et faire de nouvelles expériences... Tout cela prend beaucoup de temps et c'est un travail au quotidien qui demande beaucoup d'énergie, beaucoup de temps, beaucoup de patience. Pister chaque réaction, trouver mes déclencheurs, mentaliser, faire de la métacognition, trouver mes schémas de réactions... Accepter que des sentiments et émotions que j'ai toujours fuies, la colère par exemple, mes "parties colères" viennent dans mon quotidien. M'autoriser à écouter leur colère, à voir le monde avec leurs yeux, les laisser "agir" et réagir dans mon présent... Et accepter le bouleversement que cela peut générer pour moi et pour mes proches... Ce n'est pas facile de "changer" de manière d'être. Passer de "passive", "conciliantes", "sacrificielle" à une certaine forme d'égoïsme, de l'opposition, à s'autoriser à dire non...

Et en parallèle, avoir certaines parties qui souhaitent que tout ce que nous avons vécu, dans les moindres détails soit partagé pour que nous puissions témoigner et être cru par la police. Sauf que ce partage prend du temps, qu'il bouleverse, qu'il met en péril notre équilibre, notre stabilité dans notre présent. Le partage, la fin de l'amnésie dissociative c'est quoi ? C'est faire face aux trahisons de notre entourage, c'est revivre les viols dans notre chaire et dans notre tête. Avoir non seulement les sensations, les émotions, les goûts abjectes, les odeurs, les paroles... Un tsunami destructeur qui va à l'encontre des stratégies de survies que nous avons mis en place, de notre TDI. Cet objectif est assez atroce. Avec la prescription comme date buttoir. Prescription qui s'approche à grand pas. D'un côté on lutte pour être mieux dans notre présent, nous sentir en sécurité, libre. Et de l'autre, on se "force" à avancer et faire face à notre passé et donc on se "replonge" volontairement dans l'insécurité, la douleur, l'horreur et par là-même on bouleverse l'équilibre de notre présent. Tout cela parce que la justice a décidé que l'amnésie dissociative, les stratégies des victimes de violences extrêmes n'étaient pas valables, pas suffisantes pour leur laisser le temps de faire face à leur rythme, d'être suffisamment solide et reconstruite pour demander justice et reconnaissance pour les crimes commis à leur encontre.


Mon avocate m'a demandé de retravailler mon témoignage, séparer les faits dont j'étais certaine et les croyances ou suppositions que j'avais. C'est un point que j'ai du mal à intégrer. Je trouve qu'il y a vraiment un fossé entre la justice et l'avancée des connaissance scientifiques et psychologiques ! Le trouble de stress post traumatique, le trouble dissociatif de l'identité ont en commun le fait justement que les souvenirs sont morcelés, parsemés d'émotions envahissantes, de sensations physiques... Que dans ces deux troubles, la personne a une phobie de ses souvenirs, une tendance à nier la réalité de l'horreur vécue. Que souvent ces flashbacks s'accompagnent de déréalisation, de dépersonnalisation qui accentuent l'impression d'irréalité du vécu. J'avais donc écrit mon témoignage en le parsemant de "je crois que", "je pense que". Je trouve cela paradoxal que pour pouvoir être pris au sérieux, cru par la justice, celle-ci nie les preuves même de notre souffrance qui se manifeste en symptômes psychologiques. En fait, la justice nous demande de faire le travail avant elle de vérification de nos preuves de ce que nous avons vécu. Je trouve cela paradoxal puisque ce sera la condition même, la raison d'une condamnation ou non par la justice. Et se pose la question de comment réunir des preuves quand c'est une société entière qui a décidé de fermer les yeux sur la réalité de la prévalence des violences sur mineurs ? Les adultes dans la secte, mes proches, ma mère... Tout le monde a fermé les yeux. Quand je leur parle, ils me répondent en grande majorité qu'ils ne se souviennent de rien, qu'ils ne veulent pas se souvenir, qu'ils n'ont rien vu. Donc comment valider mes dires?

Les autres enfants victimes avec moi, comment faire quand tous mes souvenirs sont des ombres de corps dont je ne vois pas le visage, des pleurs étouffés sans noms ? Ma mémoire dissociative a explosé à la mort de mon père. Et la leur ? Comment puis je chercher d'autres victimes que moi si je ne parviens pas à me souvenir qui est là avec moi ? Et eux, seront ils prêts à faire face comme je le fais à leur passé? Sont ils en train de le faire ?


Je me suis dis que je devais avancer et aller jusqu'au bout. J'ai donc écrit ma plainte comme le demandais mon avocate, réuni les preuves que j'ai et je la lui ai envoyée. Nous avions convenu qu'envoyer directement une plainte au Procureur n'était pas la bonne stratégie et mon avocate a donc contacté une brigade de police qu'elle connaissait et leur a envoyé ma plainte. Cette brigade a répondu que elle n'acceptait pas mon dossier car les faits étaient trop vieux et que eux prenaient les dossiers "urgents" avec des dangers immédiats. Que dans ma plainte, il y avait des violeurs décédés et que cela demanderait un travail d'enquête trop long et fastidieux. Et que je suis seule plaignante pour le moment et qu'ils prennent des dossiers avec plusieurs plaignants car plus "solides". Et enfin, que mes souvenirs de viols à l'âge de deux et trois ans sont impossibles et doivent donc être des "souvenirs induits".


Méga claque !!!

Mon avocate décide finalement que la meilleure stratégie est que j'envoie ma plainte au Procureur et que je réécrive ma plainte en supprimant tout ce qui risque de faire "tiquer".

Donc nier et taire tout ce que j'ai vécu avant l'âge de 8 ans, nier et passer sous silence les viols du moine, de mon père. Nier les viols en groupe d'enfants. Tout cela, la justice ne veut pas l'entendre. Cela n'existe pas.


Voilà le "choix" que me laisse la justice.

Si j'accepte cette version "édulcorée" de ce que j'ai vécu et ce qu'on m'a fait, la justice accepterait sûrement au moins de m'auditionner, j'aurais peut-être droit à un procès et éventuellement droit à une reconnaissance judiciaire.

Si je refuse et témoigne de tout ce qu'on m'a fait, si je montre mes parties dissociatives, si j'évoque mon TDI, je serai prise pour une folle, je n'aurai certainement aucune audition de la police et je recevrai certainement un non lieu.


Je suis effondrée, dégoûtée et perdue. Ca hurle en moi !!!

Je vais prendre quelques jours pour réfléchir. Me reposer la question de qu'est ce que cette démarche de plainte représente pour nous ? Qu'est ce que j'en attends? Qu'est ce qui est important pour moi ?

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